Dans un monde de plus en plus marqué par des crises écologiques, économiques et sociales, la quête de performance semble atteindre ses limites. Olivier Hamant, biologiste et directeur de l’Institut Michel Serres, s’intéresse depuis plusieurs années à la notion de robustesse, tant dans les systèmes biologiques que dans les organisations humaines. À travers ses recherches sur le développement des plantes et ses réflexions sur les défis contemporains, Hamant remet en question notre obsession pour l’optimisation et l’efficacité à tout prix.
Face à un avenir incertain, où les fluctuations climatiques et les crises se multiplient, il propose un changement radical de paradigme : abandonner la performance comme objectif ultime pour embrasser la robustesse et la résilience. Cette approche, inspirée par les mécanismes de la nature, pourrait être la clé pour construire des sociétés capables de résister aux chocs à venir et d’assurer une transition durable vers un monde plus stable.
Cet article explore les idées novatrices d’Olivier Hamant, notamment l’importance des marges dans la transformation des systèmes, la nécessité de repensar la gouvernance à travers la coopération, et les limites des solutions purement technologiques face aux défis de notre temps.
Comprendre la robustesse dans la nature et les systèmes humains
La robustesse, telle que la décrit Olivier Hamant, est un concept central pour comprendre comment les systèmes biologiques et humains peuvent non seulement survivre, mais aussi prospérer dans un environnement incertain et fluctuant. Contrairement à la vision traditionnelle de la stabilité, souvent associée à l’homogénéité et à la standardisation, la robustesse repose sur des mécanismes d’hétérogénéité et d’imprévisibilité, que l’on observe notamment dans la nature.
Dans ses recherches, Hamant s’intéresse particulièrement à la manière dont les plantes utilisent des signaux mécaniques pour réguler leur développement. Il explique que, bien que l’on puisse penser que la reproduction de formes identiques – comme des feuilles ou des fleurs – repose sur une homogénéité parfaite, la réalité est tout autre. À un niveau cellulaire, la diversité et l’imperfection sont essentielles pour garantir la stabilité du système. Cette hétérogénéité permet aux plantes de s’adapter aux fluctuations de leur environnement et de maintenir leur forme, même dans des conditions changeantes.
Ce principe, observé dans les systèmes biologiques, peut être transposé aux systèmes humains. Dans nos sociétés, la recherche de performance par la standardisation et l’optimisation extrême crée des structures fragiles, vulnérables aux crises et aux perturbations. À l’inverse, une organisation fondée sur la robustesse accepterait une certaine inefficacité apparente, de manière à mieux absorber les chocs. Cela signifie intégrer plus de diversité, de flexibilité et de redondance dans les processus, afin de rendre les systèmes plus résilients à long terme.
En somme, la robustesse n’est pas synonyme de perfection ou de contrôle absolu. Elle repose sur l’acceptation de la variabilité et du désordre contrôlé, tant dans la nature que dans les structures sociales, économiques et organisationnelles. Cette approche, contre-intuitive pour certains, est pourtant la clé pour garantir la durabilité et la stabilité des systèmes dans un monde en perpétuelle fluctuation.
Un monde en polycrise : Fluctuations et vulnérabilité des systèmes actuels
Olivier Hamant insiste sur un constat largement partagé par les scientifiques et les organisations internationales : le XXIe siècle est un monde en polycrise, marqué par des fluctuations multiples et interconnectées. Ces crises ne sont plus des événements isolés, mais des perturbations simultanées touchant des domaines aussi divers que le climat, l’économie, la société et la géopolitique.
Parmi les exemples les plus frappants de cette vulnérabilité, Hamant cite les méga-inondations au Pakistan en 2022, qui ont déplacé des millions de personnes, détruit des infrastructures et provoqué des famines. Autre illustration, les incendies dévastateurs au Canada, où les températures ont atteint 50°C, soit 15°C au-dessus des moyennes précédemment enregistrées. Ces événements révèlent à quel point nos sociétés sont exposées à des fluctuations extrêmes et imprévisibles.
Cette réalité est amplifiée par l’interconnexion croissante des systèmes mondiaux. Le blocage du canal de Suez en 2021, causé par un seul porte-conteneurs, a suffi à perturber des chaînes d’approvisionnement globales, soulignant la fragilité des infrastructures hyper-optimisées. De même, la cyberattaque de juillet 2019, qui a paralysé un fournisseur clé de cybersécurité, montre à quel point nos systèmes technologiques, centralisés et optimisés pour la performance, sont vulnérables à la moindre défaillance.
Ces crises ne sont pas des anomalies, mais des manifestations d’un système global en déséquilibre structurel. Selon Hamant, la caractéristique principale de notre époque est l’entrée dans un monde de fluctuations constantes, où la stabilité du passé cède la place à l’incertitude. Les grands rapports internationaux, qu’ils viennent de la CIA, de l’OCDE ou du Forum Économique Mondial, s’accordent sur cette réalité : le siècle à venir sera marqué par des perturbations croissantes et imprévisibles, un phénomène que l’on décrit parfois sous le terme de « polycrise ».
Dans un tel contexte, les systèmes hyper-optimisés pour la performance sont particulièrement fragiles. Leur concentration sur l’efficacité maximale les rend incapables de s’adapter aux changements soudains ou imprévus. Les crises actuelles révèlent donc la vulnérabilité intrinsèque des systèmes que nous avons créés, et appellent à une reconfiguration urgente vers des modèles plus robustes, capables de résister aux chocs multiples et complexes de notre époque.
Fin de l’optimisation de la performance : Pourquoi le modèle actuel est obsolète
Pour Olivier Hamant, l’obsession pour l’optimisation de la performance dans nos sociétés a atteint un point critique. Ce modèle, qui repose sur l’efficacité maximale avec le minimum de ressources, est devenu non seulement obsolète, mais aussi dangereux dans un monde où les fluctuations sont la norme.
La logique de performance, que ce soit dans l’industrie, la technologie ou la finance, pousse à une centralisation et une concentration extrême des ressources et des processus. Cela crée des systèmes fragiles, incapables de résister aux perturbations. L’optimisation repose sur une vision linéaire et prévisible du monde, mais cette approche se heurte désormais à la réalité d’un environnement global imprévisible et soumis à des crises multiples.
Hamant illustre cette fragilité avec des exemples concrets. Le blocage du canal de Suez par un seul porte-conteneurs en 2021 a suffi à perturber l’ensemble du commerce mondial pendant plusieurs semaines. De même, les difficultés de géants comme Boeing ou Evergrande en Chine démontrent que les grandes entreprises, même ultra-performantes, sont vulnérables aux crises économiques et sociales. Ces incidents mettent en lumière les limites d’un système axé sur l’optimisation, où la moindre perturbation peut provoquer des effondrements majeurs.
L’hyper-optimisation va souvent de pair avec une quête démesurée de projets technosolutionnistes. Des figures comme Elon Musk incarnent cette volonté de repousser les limites de la performance avec des projets spectaculaires, tels que la colonisation de Mars ou le développement de nouvelles villes en plein désert. Hamant qualifie ces entreprises de « projets de mort », car elles ignorent les limites physiques et écologiques de la planète, en offrant des solutions illusoires face aux défis actuels. Aller sur Mars ou créer des mégastructures dans des environnements hostiles reflète une fuite en avant, un déni des véritables problèmes auxquels l’humanité doit faire face ici et maintenant.
En réalité, cette obsession de la performance mène à une impasse. Elle sacrifie la robustesse au profit de l’efficacité, sans tenir compte des fluctuations et des crises à venir. Hamant souligne que nous sommes déjà en train de vivre la fin de ce modèle. Les grands acteurs économiques, comme ceux du secteur de la construction ou de la haute technologie, commencent à sentir les premières fissures d’un système qui ne peut plus tenir.
En somme, le modèle d’optimisation de la performance, autrefois vu comme un moteur de progrès, montre aujourd’hui ses limites. Il est trop rigide pour s’adapter aux chocs, trop concentré pour survivre aux fluctuations. Face à un monde en polycrise, il est nécessaire de passer à une approche qui valorise la robustesse, la diversité, et la résilience pour bâtir des systèmes capables de résister aux crises futures.
La transition vers la robustesse : Un changement nécessaire
Dans un contexte mondial de crises multiples et d’instabilité croissante, Olivier Hamant propose une solution claire : abandonner l’obsession pour la performance au profit de la robustesse. Ce changement de paradigme, bien que contre-intuitif pour des sociétés habituées à rechercher l’efficacité maximale, est devenu essentiel pour naviguer dans un monde où les fluctuations sont omniprésentes et imprévisibles.
La robustesse, contrairement à la performance, repose sur une flexibilité et une capacité à résister aux chocs. Là où la performance cherche à minimiser les ressources utilisées pour un résultat optimal, la robustesse accepte et intègre une certaine inefficacité pour garantir la stabilité à long terme. Cette idée s’inspire des mécanismes biologiques observés dans la nature : les plantes, par exemple, ne cherchent pas à être homogènes ou parfaites. Leur diversité cellulaire est un gage de stabilité face aux changements de leur environnement.
Dans les systèmes humains, adopter la robustesse signifie accepter que la perfection n’est pas la réponse aux crises. Il faut au contraire introduire de la redondance, de l’hétérogénéité, et de l’imprévisibilité dans nos processus, qu’il s’agisse de la gestion des infrastructures, des entreprises ou des gouvernements. Cette approche permet de créer des systèmes capables de fonctionner même en cas de perturbations majeures, car ils ne dépendent pas d’un fonctionnement optimisé à l’extrême.
La transition vers la robustesse passe aussi par un changement fondamental dans notre manière de concevoir les interactions sociales et économiques. Hamant souligne l’importance des initiatives locales et des systèmes décentralisés. Les modèles d’agroécologie, les coopératives ou encore l’économie circulaire sont des exemples concrets de systèmes robustes. Ils ne cherchent pas à maximiser la productivité, mais à créer des structures résilientes capables de perdurer face aux fluctuations économiques et environnementales.
Ce changement ne signifie pas un retour en arrière ou une baisse de la qualité de vie, mais plutôt une réorientation des priorités. Il s’agit de créer des systèmes qui mettent en avant la collaboration et la solidarité, plutôt que la compétition et l’efficacité à tout prix. Cela implique de valoriser les marges, c’est-à-dire les initiatives souvent jugées marginales aujourd’hui, mais qui préfigurent les solutions de demain.
Cette transition vers la robustesse doit également inclure une réduction de la performance comme unique objectif. En introduisant de la flexibilité dans les processus de production, en encourageant la diversité des approches et en acceptant un certain niveau d’imperfection, il devient possible de construire des systèmes beaucoup plus résilients. Ce changement est essentiel pour éviter les effondrements brutaux que le modèle actuel, obsédé par l’optimisation, ne pourra pas empêcher.
En résumé, la robustesse est la clé pour un avenir durable. Elle offre une nouvelle manière de penser nos structures économiques, sociales et environnementales, en misant sur la diversité et la résilience plutôt que sur la productivité et la performance. Face aux crises à venir, il est impératif d’adopter ce modèle, plus en phase avec les défis d’un monde en perpétuelle fluctuation.
Critique du techno-solutionnisme : La technologie ne sauvera pas tout
L’une des illusions les plus répandues dans notre monde moderne est l’idée que la technologie peut tout résoudre. Ce techno-solutionnisme, que critique vivement Olivier Hamant, est une croyance selon laquelle l’innovation technologique suffirait à répondre aux crises écologiques, économiques et sociales auxquelles nous faisons face. Toutefois, cette approche masque une réalité plus complexe : la technologie, loin d’être une solution magique, peut parfois aggraver les problèmes qu’elle prétend résoudre si elle est déployée sans réflexion systémique.
Les projets technologiques ambitieux, tels que ceux portés par des figures comme Elon Musk, symbolisent cette tendance. La colonisation de Mars, par exemple, est souvent perçue comme une échappatoire aux limites terrestres, une manière de repousser les frontières de la performance humaine. Hamant critique sévèrement cette vision qu’il qualifie de « projet de mort ». Selon lui, ces entreprises pharaoniques ne font que détourner l’attention des véritables enjeux planétaires, en offrant une fuite vers des solutions extrêmes et irréalistes, tout en ignorant les contraintes fondamentales qui existent sur Terre. Le rêve technologique, s’il n’est pas accompagné d’une réflexion sur notre modèle de développement, ne fait que repousser les problèmes sans les résoudre.
De même, l’engouement pour des technologies comme l’intelligence artificielle (IA) ou la fusion nucléaire illustre cette foi aveugle dans la technologie. La fusion nucléaire, souvent présentée comme une source d’énergie propre et illimitée, pourrait selon Hamant exacerber les tensions géopolitiques en offrant des ressources énergétiques infinies, alimentant ainsi des conflits perpétuels pour leur contrôle. L’IA, quant à elle, bien qu’elle présente des opportunités, est souvent utilisée pour amplifier la performance, notamment en optimisant des processus industriels ou financiers, sans remettre en question la logique d’exploitation sous-jacente. Ces outils, mal employés, risquent de renforcer un modèle extractiviste, déjà à bout de souffle, plutôt que d’en proposer une alternative durable.
Pour Hamant, la technologie doit être envisagée comme un outil, et non comme une finalité. Elle peut aider à créer des solutions, mais seulement si elle est intégrée dans une réflexion plus large sur la robustesse et la résilience. Utilisée de manière isolée, dans un cadre purement axé sur la performance, la technologie risque d’accentuer les déséquilibres plutôt que de les corriger. Le véritable enjeu n’est donc pas de multiplier les innovations à tout prix, mais de comprendre comment les intégrer de manière à renforcer la robustesse des systèmes humains et naturels.
Cette critique du techno-solutionnisme s’accompagne d’une mise en garde contre le fossé croissant entre technologie et territoire. En cherchant à maximiser l’efficacité, nous avons souvent coupé les liens entre les solutions technologiques et les besoins réels des communautés locales. Un exemple en est l’utilisation de l’IA pour identifier de nouveaux gisements de pétrole, ce qui non seulement perpétue des pratiques extractives destructrices, mais nous éloigne de la transition vers des énergies renouvelables. À l’inverse, les technologies qui favorisent la coopération locale, la réduction de l’empreinte écologique et l’agroécologie offrent des solutions plus robustes et durables.
En conclusion, Olivier Hamant nous met en garde contre le mythe d’une technologie capable de sauver l’humanité de ses propres excès. Ce n’est pas la technologie qui nous sauvera, mais la manière dont nous choisissons de l’intégrer dans un modèle plus résilient, respectueux des limites planétaires et des interactions locales. La solution ne réside pas dans une course effrénée vers des innovations toujours plus spectaculaires, mais dans une réinvention de nos systèmes basée sur la robustesse, la coopération et l’adaptation aux fluctuations inévitables du monde à venir.
Le rôle des marges dans la transformation des systèmes
Olivier Hamant met en avant un principe fondamental souvent négligé : le véritable changement dans les systèmes ne vient pas toujours du centre, mais des marges. Les initiatives marginales, bien qu’elles soient souvent perçues comme anecdotiques ou périphériques par rapport aux structures dominantes, jouent un rôle clé dans la transformation des sociétés. Dans un monde de plus en plus soumis aux crises et aux fluctuations, ce sont ces marges qui, selon Hamant, préfigurent les solutions résilientes et robustes de demain.
Les marges, ce sont ces initiatives locales, sociales, ou écologiques qui n’ont pas encore gagné en ampleur ou en reconnaissance à grande échelle. Hamant donne comme exemple des projets tels que l’agroécologie, les coopératives et les systèmes économiques circulaires, qui sont souvent à la marge des grands discours économiques, mais qui représentent des modèles de robustesse face aux crises. Contrairement aux structures hyper-optimisées et centralisées, ces initiatives marginales s’adaptent mieux aux fluctuations, car elles reposent sur la diversité, la collaboration et l’intégration locale.
L’idée que les marges peuvent transformer le cœur du système repose sur une dynamique observée dans la nature : lorsque les systèmes centraux deviennent trop rigides ou trop inefficaces face à des crises ou des fluctuations, ce sont les éléments situés à la périphérie qui apportent le changement. Hamant compare ce phénomène au comportement d’un vol d’oiseaux : ce sont ceux qui sont en périphérie du groupe, exposés aux conditions extérieures, qui influencent la direction du vol, et non ceux situés au centre, protégés mais aveuglés aux changements environnants. Cette métaphore souligne le rôle crucial des acteurs qui se trouvent en dehors du « cœur » des systèmes dominants pour initier des basculements.
Dans un monde en crise, les marges sont souvent les premières à expérimenter de nouvelles solutions. Par exemple, les mouvements d’agroécologie et les initiatives locales de transition énergétique se développent loin des centres de pouvoir économique ou politique, mais elles sont déjà des réponses concrètes aux enjeux climatiques et environnementaux. Ces marges sont constituées de communautés qui ont appris à s’adapter aux crises locales (pénuries, catastrophes naturelles) et à construire des solutions basées sur la résilience et la solidarité.
Les marges ne se limitent pas à des initiatives rurales ou alternatives. Même au sein de grandes organisations ou de systèmes complexes comme les multinationales, il existe des poches de résistance qui adoptent des approches différentes. Des sous-groupes au sein de grandes entreprises, des équipes locales ou des mouvements internes peuvent également jouer un rôle dans cette transformation. Les grands acteurs ne sont pas homogènes, et il existe souvent des divisions ou des marges internes qui explorent des modèles plus durables et moins axés sur la performance pure.
Hamant souligne également que les marges sont souvent plus en avance sur les réponses aux crises, car elles ont déjà expérimenté des solutions robustes face aux fluctuations. Les projets locaux, comme les conventions citoyennes, les systèmes de réparation ou de relocalisation, sont aujourd’hui mieux placés pour résister aux crises que les systèmes centralisés, car ils sont plus flexibles et intégrés dans les dynamiques territoriales.
En définitive, les marges ont un pouvoir de contamination. Lorsqu’une crise survient et que les systèmes centraux montrent leurs faiblesses, ce sont les solutions développées à la marge qui gagnent en importance. Elles finissent par se propager vers le centre, influençant et transformant les systèmes dominants. Ce processus n’est pas linéaire, mais se produit à travers une multitude d’initiatives locales qui, combinées, finissent par changer la direction du système global.
En résumé, pour Olivier Hamant, les marges sont les catalyseurs du changement systémique. Elles incarnent des réponses adaptées aux fluctuations et aux crises, et représentent un modèle de robustesse que les structures centrales devront adopter pour survivre. En valorisant les initiatives marginales, nous pouvons non seulement anticiper les crises à venir, mais aussi façonner un futur plus résilient et durable.
Repenser la gouvernance : Intégrer la science et la coopération dans les politiques
Dans un monde marqué par des crises systémiques et des fluctuations croissantes, Olivier Hamant appelle à une refonte profonde de la gouvernance. Selon lui, l’un des grands défis actuels est l’incapacité des gouvernements à intégrer pleinement la science et à encourager la coopération au sein des processus décisionnels. La gouvernance, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, reste trop souvent centrée sur la performance et le court-termisme, déconnectée des réalités écologiques et sociales.
1. L’absence de mécanismes pour intégrer la science
Hamant déplore le fait que les gouvernements n’aient pas de mécanismes efficaces pour intégrer les faits scientifiques dans leurs décisions. Alors que la science fournit des données cruciales sur des enjeux comme le changement climatique, la biodiversité ou la gestion des ressources, elle est souvent reléguée au second plan dans les choix politiques. Les scientifiques ne sont pas suffisamment écoutés, et les politiques publiques sont trop souvent fondées sur des objectifs économiques de court terme, sans prendre en compte les réalités environnementales. Cette déconnexion empêche de préparer les systèmes à la résilience face aux crises à venir.
Pour combler ce fossé, il est nécessaire de créer des institutions capables de prendre en compte les faits scientifiques de manière systématique. Les modèles comme celui du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) montrent qu’il est possible de traduire les données scientifiques en recommandations politiques, mais ces exemples restent trop rares et ne parviennent pas toujours à infléchir les décisions gouvernementales.
2. Vers une gouvernance fondée sur la coopération
Hamant souligne également que la coopération doit être placée au cœur de la gouvernance du XXIe siècle. Dans un monde en polycrise, où les fluctuations sont de plus en plus imprévisibles, la compétition, qui reste un pilier de la gouvernance actuelle, devient contre-productive. Les institutions et les acteurs politiques doivent apprendre à coopérer entre eux, mais aussi avec les citoyens et les territoires, pour construire des systèmes plus robustes et résilients.
Il prend pour exemple les conventions citoyennes. En France, la Convention citoyenne pour le climat a réuni 150 citoyens tirés au sort pour formuler des propositions sur la transition écologique. Les résultats ont montré que, lorsque les citoyens sont informés et consultés, ils peuvent formuler des propositions plus ambitieuses que les politiciens eux-mêmes. Cela montre qu’il est possible de créer des mécanismes de gouvernance plus participatifs, où la coopération entre citoyens, experts et gouvernants permet de mieux répondre aux défis complexes d’aujourd’hui.
Cette approche coopérative doit également s’étendre aux relations entre territoires. Les initiatives locales, comme les systèmes de production décentralisés, doivent être reconnues et encouragées par les autorités nationales. Une gouvernance coopérative implique de renforcer les liens entre les niveaux local et global, en favorisant les interactions et la collaboration entre les différents acteurs, qu’ils soient économiques, sociaux ou politiques.
3. Rompre avec la gouvernance de la performance
La gouvernance actuelle est souvent focalisée sur des objectifs de performance et d’efficacité. Cependant, cette approche, fondée sur des indicateurs économiques à court terme, ignore les conséquences à long terme, notamment en matière environnementale et sociale. Hamant souligne qu’il faut sortir de cette logique, qui privilégie la centralisation et l’optimisation au détriment de la robustesse.
Dans une gouvernance robuste, il ne s’agit pas d’accumuler des règles ou de maximiser l’efficacité à tout prix, mais de créer des cadres souples qui permettent l’adaptation. Hamant plaide pour des lois plus larges et plus flexibles, capables de s’adapter aux réalités locales et aux crises futures. Cela implique de laisser une marge de manœuvre aux territoires et aux acteurs locaux pour expérimenter des solutions adaptées à leurs besoins spécifiques.
4. Résonner avec les initiatives locales
Le rôle de l’État ne doit pas être de tout contrôler, mais plutôt de résonner avec les initiatives locales. Selon Hamant, le gouvernement doit être en capacité de reconnaître et de soutenir les projets émergents au niveau local qui sont souvent en avance sur les réponses aux crises. Cela ne signifie pas un retrait de l’État, mais un changement de posture : l’État devient un facilitateur des initiatives citoyennes et locales, créant des liens et des réseaux pour renforcer la résilience collective.
Un exemple concret est l’initiative de la ville de Lyon, qui a mis en place des jeux coopératifs pour sensibiliser la population à la transition écologique. Ce type de démarche montre que les collectivités locales peuvent jouer un rôle crucial en mobilisant les citoyens et en expérimentant des solutions robustes adaptées aux fluctuations.
Réinventer la gouvernance
Pour Olivier Hamant, il est urgent de réinventer la gouvernance pour faire face aux défis du monde en polycrise. En intégrant davantage la science et en plaçant la coopération au cœur des processus décisionnels, il est possible de construire des systèmes politiques plus robustes et résilients. Cela nécessite de rompre avec l’obsession de la performance et de créer des cadres flexibles qui soutiennent l’innovation locale et favorisent la solidarité entre les territoires. La gouvernance de demain devra être ancrée dans les réalités locales, tout en restant connectée aux enjeux globaux, afin de relever les défis complexes et fluctuants du XXIe siècle.
Conclusion : Robustesse et collaboration
Olivier Hamant nous invite à un changement de paradigme fondamental : passer d’une société obsédée par la performance à une société centrée sur la robustesse et la coopération. Dans un monde de plus en plus soumis aux crises et aux fluctuations, il est devenu clair que les systèmes hyper-optimisés et centralisés ne peuvent plus répondre aux défis globaux. Ils sont trop fragiles pour résister aux chocs multiples – qu’ils soient climatiques, économiques ou sociaux.
Pour construire un avenir durable, il est nécessaire de repenser nos valeurs et nos priorités. La robustesse, contrairement à la performance, accepte l’imprévu, la diversité et l’imperfection comme des atouts, et non comme des défauts. Elle s’appuie sur la capacité des systèmes à absorber les crises, à s’adapter et à évoluer en fonction des fluctuations. Ce modèle ne cherche pas à maximiser l’efficacité à court terme, mais à assurer la résilience à long terme, en misant sur des solutions flexibles et décentralisées.
L’un des aspects clés de cette transition est la coopération. Dans un monde en polycrise, il ne suffit plus de rivaliser ou de se replier sur des solutions individuelles. La collaboration entre les citoyens, les territoires, les entreprises et les gouvernements est essentielle pour surmonter les crises et bâtir des systèmes résilients. Les initiatives locales, souvent situées à la marge, sont des laboratoires d’innovation qui préfigurent le monde de demain. Que ce soit dans l’agroécologie, l’économie circulaire ou les coopératives, ces modèles démontrent qu’il est possible de créer des solutions robustes, adaptées aux réalités locales et capables de s’adapter aux fluctuations globales.
Le défi, pour les gouvernements et les institutions, est de soutenir ces initiatives marginales et de permettre leur épanouissement. Cela implique de sortir de la logique de contrôle centralisé et d’accepter un rôle de facilitateur, en résonance avec les dynamiques locales. La science, de son côté, doit être intégrée de manière plus systématique dans la prise de décision politique, afin que les faits scientifiques soient à la base des politiques publiques.
En conclusion, Hamant propose une vision optimiste malgré les crises qui s’accumulent. Il croit fermement que les jeunes générations ont la capacité de créer un monde plus collaboratif et plus robuste. Ce monde ne sera pas construit sur l’illusion d’une technologie salvatrice ou sur des projets démesurés, mais sur des bases locales, ancrées dans la coopération, la diversité et la résilience. C’est en valorisant les solutions collectives, en repensant la gouvernance et en intégrant la science dans les politiques que nous pourrons relever les défis complexes du XXIe siècle.
Ce changement, bien que radical, est non seulement nécessaire mais aussi possible. Nous avons les outils, les connaissances et les exemples pour bâtir un futur robuste et collaboratif. Il est temps de transformer cette vision en réalité.
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