Pourquoi parler d’Open Badges aujourd’hui ?
Face à l’urgence écologique, les collectivités, entreprises, associations et citoyens se mobilisent pour transformer nos façons de produire, de consommer et de coopérer. Des milliers d’initiatives voient le jour pour réduire les émissions, protéger la biodiversité, renforcer les circuits courts ou mutualiser les ressources. Pourtant, une question essentielle reste trop souvent sans réponse : comment reconnaître et valoriser ces engagements concrets ?
Les labels et certifications existent, mais ils sont souvent coûteux, rigides ou réservés à certains acteurs. Les logos “verts” pullulent sans qu’on sache toujours ce qu’ils recouvrent. Résultat : les actions sincères peinent à émerger dans le bruit ambiant, et la confiance entre partenaires se construit difficilement.
C’est là qu’interviennent les Open Badges. Nés dans le monde de la formation pour reconnaître des compétences invisibles, ces badges numériques vérifiables s’imposent aujourd’hui comme une solution agile, transparente et interopérable pour rendre visibles les engagements des organisations.
Et s’ils devenaient un outil-clé de la transition écologique ?
Dans cet article, nous allons découvrir ce que sont les Open Badges, comment les adapter aux organisations, et pourquoi ils pourraient transformer notre manière de collaborer, de valoriser et d’accélérer le changement.
Qu’est-ce qu’un Open Badge ?
Un Open Badge est un badge numérique contenant des informations vérifiables sur une compétence, une action ou un engagement reconnu par une tierce partie. Plus qu’un simple logo, c’est une attestation numérique structurée, sécurisée et interopérable, qui permet de rendre visible ce qui est souvent invisible.

Concrètement, un Open Badge contient :
- L’identité du bénéficiaire (personne ou organisation)
- L’identité de l’émetteur (ex. : une école, une association, une collectivité…)
- La description du badge (ce qu’il reconnaît, dans quel contexte)
- Les critères d’attribution (ce qu’il faut avoir fait ou démontré pour l’obtenir)
- Des preuves associées (documents, rapports, liens, données vérifiables)
- Une date d’émission et éventuellement une date d’expiration
Le tout est encapsulé dans un format standardisé (aujourd’hui géré par IMS Global, compatible avec les Verifiable Credentials du W3C), ce qui permet à n’importe qui de vérifier l’authenticité et la provenance du badge, en ligne ou via une API.
Une origine dans l’éducation… mais un potentiel bien plus large
Les Open Badges ont été inventés en 2011 par Mozilla, avec une idée simple mais révolutionnaire : permettre de reconnaître des compétences acquises en dehors des parcours formels (université, diplôme), par exemple dans des associations, des projets collaboratifs, des expériences de terrain.
Depuis, des millions de badges ont été émis à travers le monde, notamment dans les domaines de :
- la formation continue,
- la reconnaissance de compétences transversales,
- les programmes citoyens ou de volontariat,
- les communautés open source.
Mais le principe va bien au-delà de la formation : il repose sur une idée puissante et universelle — “Un badge ne reconnaît pas en soi, il rend visible une reconnaissance faite par un tiers.”
Un outil de reconnaissance, de confiance et de transparence
En permettant à n’importe quel acteur légitime d’émettre un badge, le système redonne du pouvoir aux communautés : pairs, réseaux, territoires peuvent désormais structurer leurs propres critères de reconnaissance, sans attendre qu’une norme descendante ou une autorité centralisée les valide.
Le badge devient alors un outil de confiance distribuée, qui permet de :
- rendre visibles des engagements ou contributions,
- construire des réseaux de reconnaissance mutuelle,
- sécuriser des parcours (via preuves vérifiables),
- valoriser les actions concrètes dans des écosystèmes de transition.
Et c’est précisément ce qui ouvre la voie à l’extension du badge aux organisations – sujet de la prochaine section.
Étendre le badge aux organisations : une innovation utile
Les Open Badges sont d’abord apparus pour reconnaître des compétences individuelles. Mais qu’en est-il des organisations ? Une collectivité, une entreprise, une association, un réseau professionnel ou une coopérative engagée dans la transition écologique porte elle aussi des valeurs, des compétences collectives, des contributions concrètes. Pourtant, ces engagements restent rarement reconnus formellement, ou alors de manière coûteuse, opaque ou peu lisible.
Et si nous utilisions les mêmes principes que les Open Badges individuels pour valoriser les actions des personnes morales ? C’est précisément ce que propose le badge organisationnel.

Pourquoi reconnaître les organisations par des badges ?
- Rendre visible l’engagement dans la durée
Exemple : une entreprise qui réduit ses émissions de 30 % en 5 ans, ou une commune qui met en œuvre un plan d’action climat ambitieux. Ces efforts ne méritent-ils pas un signe distinctif clair, vérifiable et partageable ? - Structurer une “carte d’identité durable”
Les engagements RSE, les coopérations territoriales, les soutiens à des communs ou des projets citoyens sont souvent disséminés sur un site web, dans des rapports ou des présentations. Le badge permet de rassembler ces informations sous un format unique, normé, portable. - Valoriser les coopérations et les communs
Une entreprise qui finance un observatoire open data, une collectivité qui soutient un réseau local de transition, un groupe de PME qui participe à une gouvernance partagée : ces contributions systémiques sont essentielles mais rarement visibles. Le badge en fait une preuve formelle et transmissible. - Éviter le greenwashing, renforcer la transparence
Contrairement à un simple logo “vert”, un badge organisationnel contient des critères précis et des preuves vérifiables, rendant toute déclaration traçable et auditable.
De la reconnaissance à l’activation de réseaux de confiance
Avec des badges organisationnels :
- Un réseau peut reconnaître les membres actifs de sa gouvernance.
- Une filière peut harmoniser ses labels existants sous un langage commun.
- Un financeur peut exiger un badge comme preuve d’éligibilité ou de transparence.
- Une collectivité peut cartographier les acteurs engagés sur son territoire.
Autrement dit, le badge devient un instrument d’activation : il facilite les partenariats, fluidifie les appels à projet, crédibilise les candidatures, stimule la participation.
Et concrètement ?
- Une entreprise peut recevoir un badge “Fournisseur circulaire engagé”, émis par un réseau territorial.
- Une association peut porter un badge “Contributeur actif au commun Mapping Climat”, endossé par ses pairs.
- Une commune peut afficher un badge “Territoire Bas-Carbone – Niveau Argent”, délivré par une instance de pilotage.
Chaque badge est lié à des critères clairs, des preuves consultables, et une chaîne de confiance vérifiable.
La suite de l’article expliquera comment ces badges peuvent être conçus, attribués, diffusés et utilisés… mais surtout, comment ils peuvent transformer des engagements souvent invisibles en preuves d’impact concrètes et partagées.
Concrètement, à quoi sert un Open Badge organisationnel ?
Un Open Badge n’a de valeur que s’il répond à un usage réel. Pour les organisations engagées dans la transition, il devient un outil multi-fonctions : reconnaissance, preuve, visibilité, levier de coopération… Voici une série de cas d’usage concrets, inspirés du terrain.

3.1. Reconnaître les contributions invisibles
Ex. : Une PME soutient une coalition locale pour la rénovation énergétique.
Elle mobilise du temps de son équipe RSE pour co-développer un outil commun. Elle n’est ni maître d’ouvrage, ni bénéficiaire direct, mais elle joue un rôle-clé.
Le badge “Contributeur au commun – Coalition Énergie X” valorise cette implication, avec preuve d’engagement (temps investi, livrable produit) et endossement du porteur du commun.
3.2. Faciliter les achats responsables
Ex. : Une collectivité souhaite privilégier des fournisseurs réellement durables.
Plutôt que d’analyser des documents parfois peu lisibles, elle demande un badge “Fournisseur engagé – Label Bas-Carbone”, contenant des critères précis et les preuves correspondantes.
Le tri dans les candidatures devient plus simple, plus rapide, plus juste.
3.3. Soutenir des systèmes alternatifs de certification
Ex. : Un collectif paysan en agriculture biologique utilise un Système Participatif de Garantie (SPG), basé sur la confiance entre pairs. Ces producteurs n’ont pas les moyens d’une certification AB classique.
Le badge “Fermier Bio – SPG Occitanie” documente leur engagement local avec rapport de visite à l’appui, endossé par une fédération agroécologique.
3.4. Cartographier l’écosystème d’un territoire
Ex. : Une région anime une démarche climat avec 80 structures partenaires.
Certaines ont signé la charte, d’autres ont mené des actions concrètes.
Grâce à des badges (“Signataire de la charte climat X”, “Action exemplaire climat X”), la région peut publier une cartographie dynamique des acteurs engagés, et suivre l’évolution dans le temps.
3.5. Créer de la confiance dans une filière
Ex. : Dans la filière bois, plusieurs labels (FSC, PEFC) coexistent.
Un badge organisationnel “Bois issu de forêts gérées durablement” pourrait rassembler ces certifications sous une forme unifiée, co-endossée par les deux référentiels.
L’acheteur public, ou le client final, n’a plus besoin de chercher dans les registres : le badge synthétise les preuves, les critères, et les autorités émettrices.
Résumé des bénéfices
- Gain de lisibilité pour les partenaires, clients, institutions
- Réduction des coûts de vérification
- Stimulation de l’engagement (badge = incitation symbolique à s’améliorer)
- Effet réseau : les badges s’interconnectent, créant un commun de reconnaissance
Dans la prochaine partie, nous verrons comment concevoir et structurer techniquement un badge organisationnel : quelles métadonnées utiliser, comment attacher des preuves, comment gérer l’endossement, et comment assurer l’interopérabilité du système.
4. Comment structurer un Open Badge pour une organisation engagée ?
Un badge organisationnel n’est pas un simple visuel décoratif. C’est une preuve numérique signée, contenant un ensemble de données structurées qui assurent sa fiabilité, sa traçabilité et son interopérabilité. Grâce au standard Open Badges (v3.0), il est possible de construire des badges robustes, portables et infalsifiables.
Voyons comment cela fonctionne, sans jargon technique inutile, mais avec la rigueur nécessaire.
Les 5 éléments clés d’un Open Badge organisationnel

1. Le profil de l’émetteur (issuer)
C’est l’acteur qui délivre le badge : une association, une collectivité, un réseau professionnel, un comité de coalition…
Ex. : “Réseau Transition Occitanie” ou “Fédération des Architectes Engagés”
Pourquoi c’est important ?
La crédibilité du badge dépend en grande partie de la fiabilité de l’émetteur. C’est lui qui définit les critères et qui valide qu’ils sont remplis.
2. La BadgeClass (le modèle de badge)
C’est la “fiche technique” du badge : son nom, son image, sa description, ses objectifs.
Ex. :
- Nom : “Partenaire actif de la Coalition Territoriale Climat Hérault”
- Description : “Ce badge reconnaît une organisation ayant contribué activement à un projet collectif de transition écologique sur le territoire Héraultais”
Astuce : utiliser des noms compréhensibles et cohérents (ex. : “Contributeur au commun + nom du projet”)
3. Les critères d’attribution
Ils rendent le badge crédible. Ils expliquent ce qu’il faut avoir fait pour le mériter.
Ex. :
- Avoir participé à au moins 3 réunions de gouvernance
- Avoir co-produit un livrable partagé
- Avoir soutenu le projet par une ressource financière ou humaine identifiable
Ces critères peuvent être publics et consultables en ligne (via un lien dans le badge)
4. Les preuves associées
C’est là que le badge prend toute sa force. Il peut contenir un lien vers un document, une base de données, un rapport, une photo, un audit…
Exemple : PDF du rapport d’activité 2024, fiche de temps investis, lien vers un commit GitHub, attestation de l’organe de gouvernance
Certaines preuves peuvent être publiques, d’autres réservées à des tiers habilités
5. Le bénéficiaire (recipient)
Dans le cas d’un badge organisationnel, ce n’est pas une personne mais une structure : entreprise, collectivité, association.
Ce bénéficiaire peut être identifié de plusieurs façons :
- Par un identifiant officiel (SIRET, SIREN, INSEE, RNA…)
- Ou mieux, par un DID (identifiant décentralisé, compatible avec les Verifiable Credentials)
Cela permet de vérifier à tout moment qui a reçu le badge, et d’éviter l’usurpation
Et l’endossement ? Un mécanisme clé
Le badge peut être validé par des tiers de confiance, via un mécanisme appelé endorsement.
Ex. :
- Une ONG endosse un badge émis par une collectivité locale
- Une fédération professionnelle endosse les badges de ses membres actifs
- Un financeur valide l’octroi d’un badge après audit
Cela renforce la crédibilité du badge en ajoutant une « couche » de reconnaissance supplémentaire.
Bonus : interopérabilité et visualisation
- Les badges peuvent être intégrés dans un site web, un portefeuille numérique, une plateforme open data, ou affichés dans un annuaire d’acteurs engagés.
- Grâce au format standard (JSON-LD), ils peuvent être lus par des machines, indexés, agrégés, recherchés.
- On peut imaginer à terme des visualisations dynamiques de badges : qui contribue à quoi, dans quel territoire, avec quelles preuves.
En résumé, un badge organisationnel, bien structuré, est bien plus qu’un badge visuel : c’est une micro-infrastructure de preuve et de reconnaissance. Il outille la transition, facilite les coopérations et crédibilise les discours.
Dans la prochaine partie, nous verrons comment déployer ces badges à grande échelle et les inscrire dans une gouvernance ouverte et partagée.
5. Comment déployer les badges organisationnels à grande échelle ?
La qualité technique d’un badge est essentielle. Mais pour qu’un système de reconnaissance fonctionne durablement, il doit aussi reposer sur une gouvernance claire, inclusive et ouverte. L’enjeu est double : créer la confiance entre les parties prenantes, et assurer la pérennité du standard dans le temps.

5.1. Une gouvernance ouverte et distribuée
Les badges organisationnels ne doivent pas être monopolisés par un acteur central. Ils doivent fonctionner comme un commun numérique, c’est-à-dire une ressource partagée gérée collectivement selon des règles transparentes.
L’objectif : que toute organisation légitime puisse créer, émettre et faire endosser un badge, dans un cadre structuré mais non verrouillé.
Principes fondateurs proposés :
- Co-construction des référentiels de badges avec les parties prenantes
- Publication en open source des gabarits, des standards, des outils
- Transparence des critères et des preuves
- Possibilité d’endossements croisés entre pairs, réseaux, collectivités, ONG
5.2. Structurer une communauté d’usage
Pour que le système vive, il faut une communauté active qui conçoit, teste, améliore et diffuse les badges.
Exemples d’actions :
- Organisation de “badgeathons” (ateliers de création collective de badges)
- Mise en place d’un registre public de badges émis
- Publication de guides sectoriels : “Comment créer un badge dans votre filière ?”
- Animation de forums, webinaires, retours d’expérience
L’association Reconnaître en France anime déjà ce type de dynamiques autour des Open Badges individuels : il serait pertinent d’y intégrer la dimension organisationnelle.
5.3. Ouverture vers des standards internationaux
Le format Open Badges repose sur un standard mondial géré par l’IMS Global / 1EdTech. Pour maximiser l’impact, les extensions “organisationnelles” proposées doivent :
- s’appuyer sur la version 3.0 du standard,
- être compatibles avec les identités décentralisées (DID) et les Verifiable Credentials (W3C),
- utiliser des ontologies partagées (ODD, ESCO, etc.) pour les métadonnées.
Objectif : favoriser l’interopérabilité avec d’autres systèmes, plateformes ou portefeuilles numériques, en France comme à l’international.
5.4. Financer le développement du commun
Pour ancrer cette dynamique dans la durée, un soutien public et multi-acteurs est souhaitable. Plusieurs pistes :
- Appel à communs de l’ADEME ou du Secrétariat général à la planification écologique
- Programmes européens (Horizon Europe, Erasmus+, Interreg)
- Soutien des collectivités pionnières ou des réseaux de l’ESS
- Financement mutualisé entre émetteurs utilisateurs du standard
Ces badges, en outillant la transition, peuvent être considérés comme une infrastructure numérique d’intérêt général.
5.5. Feuille de route pour un passage à l’échelle
Voici les étapes concrètes proposées pour passer de l’idée à la généralisation :
- Prototypage de badges réels, dans différents contextes (collectivités, filières, coalitions)
- Formalisation du standard communautaire, en s’appuyant sur Open Badges v3.0
- Création d’un kit open source pour émettre, afficher et vérifier les badges organisationnels
- Structuration d’une gouvernance ouverte et publication d’une charte
- Animation d’une communauté d’usage et documentation libre
- Connexion avec des plateformes existantes (catalogues d’acteurs, portails de données, observatoires…)
Le badge organisationnel est donc bien plus qu’un gadget numérique. C’est un outil systémique pour renforcer la lisibilité, la transparence et la coopération entre acteurs engagés. En en faisant un commun, on crée les conditions d’un changement d’échelle pour la reconnaissance dans la transition écologique.
Reconnaître pour accélérer la transition
Dans un monde où la transition écologique n’est plus une option mais une nécessité, reconnaître les engagements concrets devient un levier de transformation puissant. Les Open Badges, en s’adaptant aux organisations, ouvrent une voie nouvelle : celle d’une reconnaissance distribuée, vérifiable et interopérable, au service des écosystèmes de transition.
Face aux limites des labels coûteux ou aux promesses vagues des démarches RSE, les badges organisationnels permettent de rendre visible ce qui est souvent invisible :
- Une entreprise qui soutient un commun numérique,
- Une collectivité qui anime une coalition de transition,
- Une association qui co-construit un projet local avec des partenaires engagés.
Ces contributions ne peuvent plus rester dans l’ombre.
Elles méritent un langage commun de la reconnaissance.
Elles méritent des preuves visibles, traçables et partagées.
Elles méritent un standard ouvert, libre et gouverné collectivement.
Rejoignez la dynamique
Vous êtes une collectivité territoriale, un réseau professionnel, une structure de l’ESS, un porteur de communs, un entrepreneur engagé ?
👉 Voici comment agir dès aujourd’hui :
- Créer son premier badge avec les outils open source existants
- Rejoindre un groupe de travail pour formaliser le standard
- Proposer un cas d’usage pilote dans ton réseau ou ton territoire
- Partager cet article pour faire connaître le potentiel des badges organisationnels
- Contribuer à la communauté (via l’association Reconnaître, le réseau Badgeons, ou une future gouvernance ouverte)
Ensemble, faisons des badges organisationnels un outil collectif de confiance, un passeport d’engagement partagé, et un moteur de reconnaissance pour celles et ceux qui agissent concrètement.
Parce que reconnaître, c’est faire exister. Et faire exister, c’est déjà transformer.
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