Le mythe de la croissance verte
Depuis des décennies, la promesse d’une croissance économique « verte » domine les politiques environnementales internationales. L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), dès 2001, a fait du découplage – la dissociation entre croissance du PIB et pressions environnementales – un objectif central de sa stratégie pour une croissance verte. Cette approche a également été adoptée par la Commission européenne dans son programme Living well, within the limits of our planet et par les Nations unies dans les Objectifs de Développement Durable (ODD), notamment avec la cible 8.4.
Pourtant, une question cruciale persiste : peut-on réellement découpler la croissance économique des impacts écologiques à l’échelle et à la vitesse nécessaires pour éviter un effondrement environnemental ? Le rapport Decoupling Debunked (2019), produit par le Bureau Européen de l’Environnement (EEB), démontre que cette hypothèse repose sur des bases empiriques et théoriques fragiles. Selon les auteurs, non seulement le découplage absolu – où les impacts environnementaux diminuent réellement malgré une croissance économique – est rare et limité, mais il semble hautement improbable qu’il puisse être atteint dans le futur.
Les preuves empiriques sont sans appel. L’extraction de ressources a été multipliée par 12 entre 1900 et 2015, avec une intensité matérielle mondiale en augmentation depuis les années 2000. Dans les pays riches, des cas de découplage relatif ont été observés, mais souvent grâce à l’externalisation des impacts environnementaux vers les pays en développement. De même, les gains d’efficacité énergétique sont régulièrement annulés par des effets rebonds, comme l’augmentation de la consommation liée à l’amélioration des technologies. Même dans les cas où des réductions absolues des émissions de gaz à effet de serre ont été enregistrées – par exemple en Europe entre 1990 et 2017 – ces efforts restent largement insuffisants face aux objectifs climatiques fixés par le GIEC pour limiter le réchauffement à 1,5 °C.
Ce constat appelle à une remise en question fondamentale de nos priorités politiques. La croissance verte, basée sur une foi excessive dans l’efficacité technologique et les gains de productivité, ne peut être l’unique stratégie pour répondre aux crises écologiques. Il est temps de compléter les politiques axées sur l’efficacité par des approches basées sur la suffisance : une réduction directe de la production et de la consommation, notamment dans les pays à forte empreinte écologique.
Dans cet article, nous explorerons pourquoi le découplage ne suffit pas, les raisons de son improbabilité à l’avenir, et les alternatives nécessaires pour construire une société véritablement durable.
1. Comprendre le concept de découplage
Le découplage est au cœur du discours de la croissance verte. Il repose sur l’idée que l’on peut continuer à générer de la croissance économique tout en réduisant les pressions environnementales. Mais ce concept recouvre plusieurs dimensions qu’il est crucial de clarifier pour en évaluer les limites et les implications.
1.1. Deux types de découplage : relatif et absolu
Le découplage peut être relatif ou absolu.
- Relatif : Les pressions environnementales (ex. : émissions de CO₂, extraction de ressources) augmentent plus lentement que le PIB. Cela signifie que l’économie devient plus « efficace », mais que les impacts environnementaux continuent de croître en termes absolus.
- Absolu : Les impacts environnementaux diminuent en termes absolus, même si le PIB continue d’augmenter.
Le découplage relatif est souvent mis en avant comme une réussite, mais il est insuffisant pour répondre aux limites planétaires. Par exemple, une augmentation de 3 % du PIB avec une réduction de 0,5 % des émissions de CO₂ reste problématique si l’objectif est de respecter un budget carbone compatible avec une limitation du réchauffement à 1,5 °C.
1.2. Les indicateurs clés du découplage
Le découplage implique de relier deux variables principales :
- Le PIB : Une mesure classique de la croissance économique, bien qu’elle fasse l’objet de critiques pour sa réduction simpliste de la prospérité humaine.
- Les pressions environnementales : Celles-ci incluent l’extraction des ressources (matériaux, énergie, eau, terres) et les impacts environnementaux (émissions de GES, pollution, perte de biodiversité).
Il est également essentiel de différencier les approches :
- Territoriale (production-based) : Mesure les impacts environnementaux générés à l’intérieur d’un pays.
- Empreinte (consumption-based) : Inclut les impacts des biens importés, souvent externalisés vers des pays à faible coût de production.
1.3. Découplage : global ou local ?
Le découplage peut être analysé à différentes échelles :
- Local : À l’échelle d’un pays ou d’une région, des cas de découplage apparent peuvent être observés, comme la réduction des émissions territoriales dans l’Union européenne entre 1990 et 2017. Cependant, cette réduction est souvent due à des externalisations, les émissions étant délocalisées vers des pays producteurs.
- Global : À l’échelle mondiale, les données montrent que les impacts environnementaux continuent de croître parallèlement au PIB. Par exemple, l’extraction de matériaux a été multipliée par 12 depuis 1900, et les émissions de GES continuent d’augmenter en termes absolus.
1.4. Temporaire ou permanent ?
Un découplage peut également être temporaire ou permanent.
- Temporaire : Par exemple, les émissions de CO₂ ont légèrement diminué pendant la crise économique de 2008, mais elles ont rapidement rebondi une fois la reprise amorcée.
- Permanent : Pour être significatif, le découplage doit être maintenu sur le long terme, ce qui reste extrêmement rare dans la pratique.
1.5. Suffisant ou insuffisant ?
Le succès du découplage ne peut être jugé qu’en fonction de cibles environnementales spécifiques, comme le respect des limites planétaires ou des objectifs climatiques. Or, même les exemples les plus réussis de découplage absolu sont loin d’être suffisants pour répondre aux défis actuels. Par exemple, une réduction annuelle des émissions de CO₂ de 0,3 % dans les pays de l’OCDE est 18 fois trop lente pour respecter les recommandations du GIEC.
1.6. Une question d’équité
Le découplage doit aussi tenir compte des inégalités entre pays. Les nations riches, ayant une empreinte écologique disproportionnée, doivent réduire leurs impacts pour permettre aux pays en développement de répondre à leurs besoins essentiels sans dépasser les limites planétaires. Actuellement, les pays industrialisés externalisent souvent leurs impacts environnementaux vers le Sud global, sapant ainsi l’équité nécessaire à une transition durable.
Le découplage, tel qu’il est souvent présenté, est un concept séduisant mais complexe. En réalité, les cas de découplage absolu, rapide, global et durable restent rares et insuffisants pour éviter les catastrophes environnementales. Dans la prochaine section, nous examinerons en détail pourquoi, malgré les progrès technologiques et les politiques actuelles, le découplage ne suffit pas.
2. Les limites empiriques du découplage
Bien que le découplage soit présenté comme une solution viable pour concilier croissance économique et durabilité environnementale, les données empiriques montrent que cette hypothèse ne résiste pas à l’examen. Les cas de découplage absolu sont rares, localisés, temporaires, et insuffisants pour répondre aux défis planétaires. Les pressions environnementales continuent de croître, en grande partie à cause des effets rebonds, des externalisations et de la nature cumulative des impacts écologiques.
2.1. Ressources matérielles : la re-matérialisation de l’économie mondiale
L’extraction mondiale de ressources a été multipliée par 12 entre 1900 et 2015, avec une accélération notable au début du XXIᵉ siècle. En seulement 40 ans, l’utilisation globale des matériaux a triplé, atteignant 93,4 % d’augmentation entre 1980 et 2009 et jusqu’à 132 % en 2013.
Malgré des gains d’efficacité technologique dans certains pays, le découplage absolu des matériaux reste inexistant à l’échelle mondiale. Des cas de découplage relatif ont été observés dans des pays comme l’Australie ou les États-Unis, mais ces résultats sont largement attribuables à l’externalisation des activités extractives vers des pays en développement. Par exemple, les importations des pays de l’OCDE augmentent leur empreinte matérielle, annulant ainsi tout progrès local.
De plus, depuis les années 2000, on observe une re-matérialisation de l’économie mondiale : l’intensité matérielle (volume de matériaux par unité de PIB) augmente de nouveau après plusieurs décennies de légère baisse. Cette tendance est confirmée par une hausse annuelle de 0,4 % de l’intensité matérielle entre 2002 et 2015.
2.2. Énergie : des progrès limités et des externalisations masquées
L’utilisation énergétique montre également des signes d’échec du découplage. Bien que des gains d’efficacité aient été réalisés dans certains pays industrialisés, ils sont souvent compensés par :
- Effets rebonds : Les économies d’énergie réalisées grâce à des technologies plus efficaces sont réinvesties dans d’autres activités énergivores (ex. : trajets supplémentaires avec des véhicules moins gourmands en carburant).
- Externalisations : Par exemple, une grande partie des émissions énergétiques associées aux biens consommés dans des pays comme la Suisse provient des importations, annulant ainsi les gains locaux.
Des cas ponctuels de découplage absolu ont été observés, comme aux États-Unis, en France et au Royaume-Uni entre 2005 et 2015. Cependant, ces gains sont souvent modestes ou temporaires. Dans plusieurs études, les baisses de consommation énergétique dans les pays riches sont liées à des crises économiques ou à des transitions ponctuelles, comme le passage du charbon au gaz de schiste aux États-Unis, un phénomène non reproductible.
2.3. Gaz à effet de serre : des réductions insuffisantes
Le cas des émissions de gaz à effet de serre (GES) est souvent présenté comme un succès de découplage, notamment en Europe, où les émissions territoriales ont baissé de 22 % entre 1990 et 2017. Cependant, cette réduction est trompeuse :
- Une part importante de cette baisse est due à la délocalisation des industries polluantes vers les pays en développement.
- Lorsque les émissions sont mesurées sur la base de la consommation (empreinte carbone), les résultats montrent une hausse des émissions totales de 8 % dans l’UE entre 1990 et 2010.
Même dans les pays affichant des progrès significatifs, comme la Suède ou le Royaume-Uni, le découplage absolu disparaît lorsque l’on inclut les émissions associées aux importations. De plus, les réductions actuelles sont 18 fois trop lentes pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris, qui nécessitent une diminution annuelle de 5 % des émissions globales.
2.4. Eau : des gains locaux annulés par des augmentations globales
L’utilisation de l’eau présente également un découplage apparent dans certains pays. Par exemple, l’Australie a réduit sa consommation d’eau de 40 % entre 2001 et 2009, tout en augmentant son PIB de plus de 30 %. Cependant, ces succès locaux sont contrebalancés par des augmentations globales. À l’échelle mondiale, la consommation d’eau a été multipliée par 2,5 entre 1960 et 2010, en grande partie à cause de l’expansion de l’agriculture irriguée.
En outre, l’externalisation est particulièrement problématique pour l’eau. Les pays riches importent des produits agricoles et industriels gourmands en eau (eau virtuelle), déplaçant ainsi leurs impacts environnementaux vers les régions où les ressources en eau sont déjà sous pression.
2.5. Biodiversité : un effondrement en cours
Le découplage absolu des impacts sur la biodiversité est inexistant. L’expansion des terres agricoles, la déforestation et la pollution continuent de détruire les écosystèmes à un rythme alarmant. Même si des efforts sont faits pour réduire les impacts locaux, les pressions globales augmentent. Par exemple, la production de biocarburants, souvent vantée comme une solution durable, contribue à la perte de biodiversité en raison de l’occupation accrue des terres.
Un échec global
Les données montrent que le découplage absolu, rapide, global et durable reste extrêmement rare, et les cas observés sont largement insuffisants pour répondre aux urgences environnementales actuelles. Les gains locaux ou sectoriels sont régulièrement annulés par des effets rebonds, des externalisations ou des augmentations globales des volumes. Dans la section suivante, nous explorerons pourquoi le découplage est non seulement insuffisant, mais également peu probable à l’avenir.
3. Pourquoi le découplage futur est improbable
Si le découplage absolu, rapide et global est déjà rare dans les données actuelles, les obstacles systémiques et structurels rendent son occurrence future encore moins probable. Les promesses de la croissance verte, qui reposent sur des gains d’efficacité, des innovations technologiques et des changements structurels, sous-estiment des facteurs majeurs qui entravent un découplage suffisant. Cette section explore ces limites à travers sept arguments principaux identifiés dans le rapport Decoupling Debunked.
3.1. Les coûts énergétiques croissants
L’exploitation des ressources suit un modèle où les options les plus faciles et les moins coûteuses sont épuisées en premier. Avec le temps, l’extraction devient plus énergivore et destructrice. Par exemple :
- L’extraction de pétrole non conventionnel, comme les sables bitumineux ou le forage en eaux profondes, exige beaucoup plus d’énergie que les réserves conventionnelles.
- Chaque unité de ressource extraite engendre davantage de dégradations environnementales par unité produite, ce qui rend le découplage encore plus difficile à atteindre.
3.2. Les effets rebonds
Les améliorations en efficacité technologique entraînent souvent des effets rebonds : les ressources ou l’argent économisés sont réinvestis dans d’autres consommations. Cela peut se manifester de plusieurs façons :
- Directement : Un véhicule plus économe en carburant peut inciter à conduire davantage, augmentant ainsi la consommation globale.
- Indirectement : L’argent économisé grâce à une technologie plus efficace peut être utilisé pour d’autres activités à forte empreinte, comme des voyages en avion.
Ces effets rebonds, loin d’être marginaux, annulent souvent une grande partie des gains réalisés. Par exemple, l’amélioration de l’efficacité énergétique a renforcé des systèmes basés sur la voiture individuelle, au détriment des alternatives durables comme les transports en commun ou le vélo.
3.3. Le déplacement des problèmes
Les solutions technologiques conçues pour résoudre un problème environnemental peuvent en aggraver d’autres. Exemples concrets :
- Véhicules électriques : Leur production exerce une pression importante sur des ressources comme le lithium, le cobalt et le cuivre, entraînant de nouvelles formes de dégradation environnementale.
- Biocarburants : Leur production augmente la concurrence pour les terres agricoles, contribue à la déforestation et menace la sécurité alimentaire mondiale.
- Énergie nucléaire : Bien qu’elle émette peu de CO₂, elle génère des risques importants, notamment la gestion des déchets radioactifs et les risques d’accidents.
3.4. L’impact sous-estimé des services
Contrairement aux idées reçues, l’économie de services n’est pas une alternative « propre » à l’économie matérielle. Les services dépendent directement d’infrastructures matérielles :
- Le secteur numérique, souvent considéré comme immatériel, repose sur des centres de données énergivores et l’extraction de matériaux rares pour les appareils électroniques.
- Le tourisme, un pilier des économies de services, génère une empreinte écologique massive via le transport aérien et la consommation de ressources locales.
En réalité, les services s’ajoutent souvent aux impacts des biens matériels, plutôt que de les remplacer.
3.5. Les limites du recyclage
Bien que souvent présenté comme une solution clé pour réduire les pressions environnementales, le recyclage a des limites importantes :
- Les taux de recyclage actuels sont faibles et augmentent lentement.
- Le recyclage exige toujours une consommation d’énergie et de nouvelles matières premières.
- Certains matériaux, comme les terres rares ou certains plastiques, sont difficiles voire impossibles à recycler efficacement.
En conséquence, le recyclage ne peut pas fournir suffisamment de ressources pour soutenir une économie matérielle en expansion.
3.6. Une innovation technologique insuffisante
La technologie est souvent perçue comme une solution miracle, mais elle ne répond pas à la vitesse et à l’ampleur des crises environnementales. Les limites incluent :
- Les progrès technologiques ne ciblent pas toujours les secteurs ayant le plus grand impact environnemental.
- Les innovations ne remplacent pas suffisamment les technologies polluantes existantes.
- Le rythme de développement technologique est trop lent pour empêcher des dépassements critiques, comme le réchauffement climatique au-delà de 1,5 °C.
3.7. L’externalisation des coûts environnementaux
Une grande partie des gains de découplage observés dans les pays développés repose sur la délocalisation des activités polluantes vers des pays à faible consommation. Par exemple :
- Les produits manufacturés consommés en Europe ou en Amérique du Nord sont souvent produits dans des pays comme la Chine ou l’Inde, où les impacts environnementaux associés ne sont pas comptabilisés dans les bilans des pays importateurs.
- Cette externalisation rend le découplage apparent, mais non réel, comme le montrent les analyses basées sur l’empreinte écologique.
Un cadre irréaliste
Pris individuellement, chacun de ces facteurs remet en question la faisabilité d’un découplage absolu, global et durable. Considérés ensemble, ils rendent l’hypothèse de la croissance verte hautement improbable, voire irréaliste.
Dans la dernière partie, nous verrons pourquoi il est urgent d’abandonner cette focalisation sur le découplage pour adopter des approches plus radicales et centrées sur la suffisance et la justice écologique.
4. Les alternatives nécessaires à la croissance verte
Face aux limites empiriques et structurelles du découplage, il devient urgent de repenser nos priorités. La poursuite infinie de la croissance économique, même dans sa version « verte », ne peut résoudre les crises environnementales actuelles. Cette section propose des alternatives concrètes, basées sur des politiques de suffisance, une redéfinition des objectifs socio-économiques, et une révision des responsabilités globales.
4.1. Priorité à la suffisance : réduire la production et la consommation
Le rapport Decoupling Debunked appelle à un changement de paradigme, en complétant les politiques d’efficacité par des politiques de suffisance. Là où l’efficacité cherche à produire plus avec moins, la suffisance vise à réduire directement les volumes de production et de consommation dans les secteurs les plus polluants et énergivores.
Concrètement, cela signifie :
- Limiter les activités superflues : Réduire la production de biens non essentiels, comme les produits à usage unique ou les gadgets électroniques.
- Encourager la sobriété énergétique : Imposer des plafonds de consommation d’énergie, notamment dans les pays à forte consommation.
- Repenser la publicité et la surconsommation : Réguler les industries qui incitent à une consommation excessive, en favorisant des modes de vie basés sur la qualité plutôt que la quantité.
La suffisance s’accompagne également de changements culturels, valorisant la frugalité et le respect des limites planétaires.
4.2. Redéfinir la prospérité au-delà du PIB
Le PIB, principal indicateur de croissance économique, est inadéquat pour mesurer le bien-être ou la durabilité écologique. Il comptabilise positivement des activités nuisibles (pollution, déforestation) tout en ignorant les dommages environnementaux et les inégalités sociales.
Pour sortir de cette obsession de la croissance, il faut adopter des indicateurs alternatifs, tels que :
- L’Indice de Développement Humain (IDH), qui prend en compte la santé et l’éducation.
- Les limites planétaires, comme celles définies par Rockström et al., pour évaluer les pressions écologiques.
- Des mesures de bien-être basées sur la satisfaction des besoins fondamentaux (logement, éducation, santé) au lieu de la consommation matérielle.
Ces indicateurs permettent de concentrer les politiques sur l’amélioration de la qualité de vie, sans nécessiter une expansion économique illimitée.
4.3. Justice environnementale et équité globale
La réduction des pressions environnementales ne peut être équitable que si elle repose sur une répartition juste des efforts. Les pays riches, responsables d’une part disproportionnée des émissions historiques et actuelles, doivent prendre l’initiative :
- Réduire drastiquement leur empreinte écologique pour laisser de l’espace écologique aux pays en développement.
- Transférer des technologies durables et des financements vers les pays du Sud global pour leur permettre de répondre à leurs besoins sans reproduire les erreurs des économies industrialisées.
- Adopter des politiques commerciales équitables pour limiter l’externalisation des impacts environnementaux, comme les émissions de GES et l’extraction des ressources.
Les engagements climatiques et environnementaux doivent inclure des objectifs différenciés, en tenant compte des responsabilités historiques et des capacités économiques de chaque pays.
4.4. Soutenir des modèles alternatifs à la croissance verte
Le rapport appelle à explorer des modèles économiques alternatifs, tels que :
- La décroissance : Réduction volontaire de la production et de la consommation, en visant une économie à échelle humaine, respectant les limites écologiques.
- L’économie post-croissance : Une économie orientée vers la redistribution des richesses, la réduction des inégalités, et la satisfaction des besoins fondamentaux plutôt que l’accumulation de capital.
- Les communs : Promouvoir des ressources partagées et gérées collectivement, comme l’eau, les forêts ou les semences, en opposition aux systèmes de privatisation et de marchandisation.
Ces modèles offrent des solutions viables pour réduire les impacts environnementaux tout en maintenant ou en améliorant le bien-être humain.
4.5. Une transition démocratique et participative
La transition écologique doit être démocratique pour être légitime et efficace. Cela implique :
- Impliquer les citoyens dans les décisions stratégiques, par des assemblées citoyennes sur le climat ou des consultations publiques.
- Renforcer les initiatives locales : Soutenir les projets communautaires (agriculture urbaine, énergie renouvelable décentralisée) pour favoriser des solutions adaptées aux besoins spécifiques de chaque territoire.
- Réduire l’influence des lobbies industriels qui freinent les politiques ambitieuses de durabilité.
Un futur à redéfinir
Abandonner la croissance verte ne signifie pas abandonner la prospérité ou le progrès. Cela implique de repenser nos priorités pour construire un futur durable, centré sur la suffisance, la justice environnementale, et des modèles économiques alternatifs. Ces approches exigent une transformation profonde de nos politiques et de nos valeurs, mais elles offrent la seule voie réaliste pour respecter les limites planétaires tout en garantissant une vie décente pour tous.
Dans la conclusion finale, nous résumerons les enseignements clés et les actions nécessaires pour amorcer ce changement de cap.
Changer de cap pour un avenir durable
Le rapport Decoupling Debunked révèle une vérité inconfortable mais cruciale : le découplage, fondement de la croissance verte, est un mirage. Malgré des décennies de promesses politiques et de progrès technologiques, les preuves empiriques montrent que le découplage absolu, rapide et global des pressions environnementales et de la croissance économique est rare, temporaire, et insuffisant pour répondre aux urgences écologiques actuelles.
Les limites structurelles et systémiques – effets rebonds, externalisation des impacts, dépendance aux ressources énergétiques coûteuses, et insuffisance des technologies – rendent le découplage futur hautement improbable. Il est désormais évident que la poursuite de la croissance économique, même « verte », est incompatible avec la durabilité à long terme.
Un appel à repenser nos priorités
Face à cette impasse, il est urgent de redéfinir nos objectifs socio-économiques :
- Passer de l’efficacité à la suffisance : Réduire directement la production et la consommation, en ciblant les secteurs les plus polluants et énergivores.
- Remplacer le PIB par des indicateurs de bien-être : Prioriser la santé, l’éducation, et la justice sociale plutôt que l’accumulation matérielle.
- Adopter une approche équitable : Les pays riches doivent assumer leurs responsabilités historiques et réduire drastiquement leurs empreintes écologiques pour laisser un espace vital aux pays en développement.
Explorer des alternatives viables
La décroissance, l’économie post-croissance, et la gestion des communs ne sont plus des idées marginales, mais des nécessités pour construire un avenir soutenable. Ces modèles offrent une vision d’un monde où la qualité de vie prime sur la quantité, et où les limites planétaires sont respectées.
Une transition démocratique et collective
Cependant, une transition aussi profonde ne peut réussir sans l’implication active des citoyens et des communautés. Cela nécessite :
- Une transparence totale dans les décisions politiques.
- Un soutien renforcé aux initiatives locales et communautaires.
- Une lutte contre l’influence des lobbies industriels qui freinent les politiques de durabilité ambitieuses.
Une vision pour l’avenir
Changer de cap ne signifie pas abandonner l’idée de progrès, mais réinventer ce qu’il signifie. Il ne s’agit pas de revenir à un mode de vie archaïque, mais de construire une société centrée sur l’humain et la nature, où l’innovation et la technologie servent à réduire notre impact plutôt qu’à l’amplifier.
En reconnaissant les limites du découplage et en adoptant des politiques axées sur la suffisance, la redistribution et la justice environnementale, nous avons l’opportunité de créer un avenir durable, juste et prospère. Il est temps de dire adieu à la croissance verte et de choisir un chemin qui respecte les besoins de tous, humains et non-humains, dans les limites de notre planète.
« Changer de cap pour un avenir durable n’est pas seulement une nécessité, c’est une opportunité de réimaginer le progrès et de construire un monde où chacun peut prospérer sans dépasser les limites de la Terre. »
Pour aller plus loin :