Pression sur l’eau et nouveaux outils de protection
La ressource en eau est soumise à des pressions croissantes, aussi bien quantitatives (sécheresses, surexploitation) que qualitatives (pollutions diffuses par nitrates et pesticides). En France, des milliers de captages d’eau potable ont dû être abandonnés ces dernières décennies en raison de la dégradation de la qualité de l’eau (41 % des fermetures de captages entre 1998 et 2008 étant liées à la pollution). Les pollutions d’origine agricole (nitrates, produits phytosanitaires) engendrent par ailleurs un surcoût de traitement de l’eau potable estimé entre un demi et un milliard d’euros par an pour les collectivités, donc in fine pour les usagers. Face à ce constat, il est impératif de développer des approches préventives et durables pour préserver la ressource en eau.
Parmi les outils récents mobilisés par les acteurs territoriaux figurent les Paiements pour Services Environnementaux (PSE) et les Obligations Réelles Environnementales (ORE). Les PSE sont des dispositifs incitatifs volontaires où un ou plusieurs « bénéficiaires » financent des pratiques vertueuses mises en œuvre par des « fournisseurs » (par exemple des agriculteurs), le paiement étant conditionné aux résultats environnementaux obtenus. Les ORE, créées par la loi pour la reconquête de la biodiversité de 2016, sont quant à elles des contrats fonciers durables par lesquels un propriétaire foncier s’engage, avec une collectivité ou un organisme environnemental, à attacher à son bien des obligations écologiques pour une durée pouvant aller jusqu’à 99 ans, obligations qui perdurent même en cas de changement de propriétaire. Autrement dit, les ORE permettent de pérenniser sur le très long terme des engagements de protection de la biodiversité ou des services écosystémiques (comme la qualité de l’eau), tandis que les PSE offrent un levier économique à plus court terme pour encourager l’adoption de ces engagements.
L’objet de cet article est d’examiner l’articulation entre ces deux outils – PSE et ORE – afin de préserver durablement la ressource en eau. Après une présentation de leurs fondements respectifs (principes, acteurs, objectifs), nous analyserons comment, poursuivant des objectifs communs, ils reposent sur des mécanismes différents et complémentaires en termes de temporalité, de sécurisation des actions et de logique contractuelle. Des exemples concrets (pratiques agricoles sur bassins versants, protection de captages, haies bocagères, etc.) illustreront comment combiner PSE et ORE, ainsi que les conditions de réussite d’une telle complémentarité. Il s’adresse aux collectivités, agriculteurs, opérateurs de l’eau et juristes désireux de mobiliser ces outils de manière intégrée, avec un ton informatif et analytique – et une invitation discrète à s’emparer de ces solutions innovantes pour construire des politiques territoriales durables.
Comprendre les fondements des PSE et des ORE

Paiements pour Services Environnementaux (PSE) : définitions, principes et objectifs
Un Paiement pour Services Environnementaux se définit comme une transaction contractuelle, volontaire, par laquelle un bénéficiaire paye un fournisseur en échange d’un service environnemental clairement défini, le versement étant soumis à condition. En pratique, il s’agit de rémunérer des acteurs (souvent des agriculteurs ou forestiers) pour des actions préservant ou restaurant des écosystèmes dont la société tire des bénéfices (qualité de l’eau, biodiversité, climat, paysage, etc.). Il repose sur le principe du « bénéficiaire-payeur » (et non du pollueur-payeur), en offrant une incitation économique aux gestionnaires de terres pour adopter des pratiques plus vertueuses, plutôt que de les sanctionner par la réglementation ou la taxation.
Principes clés : Les PSE sont caractérisés par plusieurs critères de référence issus de la littérature : engagement volontaire des fournisseurs, objectif environnemental clair et mesurable, paiement conditionné à l’atteinte de résultats (ou à la réalisation d’actions convenues), additionnalité (les actions financées doivent aller au-delà des pratiques courantes ou obligations réglementaires) et niveau de rémunération incitatif suffisant. Dans la pratique, tous les dispositifs qualifiés de PSE ne remplissent pas parfaitement l’ensemble de ces critères, mais le socle volontarité-conditionnalité reste central. Autrement dit, un agriculteur s’engage librement à changer ses pratiques, en échange d’une aide financière versée seulement s’il tient ses engagements environnementaux.
Acteurs des PSE : D’un côté, on trouve les financeurs (ou « demandeurs ») du service écosystémique : ce sont en principe les bénéficiaires directs des avantages écologiques obtenus. Il peut s’agir de collectivités territoriales (par exemple une région qui paye pour la préservation de ses paysages ou de sa ressource en eau), d’agences de l’eau qui cherchent à améliorer la qualité des eaux de leur bassin, d’entreprises agroalimentaires dépendant d’une ressource naturelle (un cas fréquent étant une entreprise d’eau minérale finançant des pratiques agricoles plus propres sur son impluvium), ou encore d’associations ou fondations environnementales, etc. De l’autre côté, les fournisseurs sont généralement des agriculteurs ou gestionnaires de terrains, qui mettent en œuvre les pratiques environnementales et reçoivent en contrepartie un paiement souvent annuel et contractuel. Le contrat PSE précise les engagements (par exemple : implanter des couverts végétaux, réduire les intrants, conserver des zones humides…) et la rémunération correspondante, qui peut être monétaire ou en nature. Dans les programmes publics (tels que les Mesures Agro-Environnementales et Climatiques – MAEC), la durée du contrat PSE est souvent de 5 ans renouvelables, tandis que dans des initiatives privées, elle peut être adaptée au cas par cas.
Objectifs : L’objectif d’un PSE est de créer un signal économique positif en faveur de pratiques bénéfiques à l’environnement, là où le marché ou la réglementation ne suffisent pas. En agriculture, les PSE visent par exemple à compenser les pertes de revenu ou les coûts supplémentaires liés à des pratiques plus écologiques (par ex. conversion en agriculture biologique, réduction des intrants, restauration de zones naturelles), afin de rendre ces changements attractifs pour les exploitants. In fine, il s’agit d’orienter les comportements individuels vers un intérêt collectif (préservation de biens communs comme l’eau) en alignant les motivations économiques des acteurs avec les objectifs environnementaux. Les PSE s’inscrivent ainsi dans une logique de projet territorial volontaire, complémentaire des outils réglementaires ou fonciers : ils offrent de la souplesse et de l’incitation financière pour engager des changements concrets à court ou moyen terme.
Obligations Réelles Environnementales (ORE) : définitions, principes et acteurs
Une Obligation Réelle Environnementale est un outil juridique et foncier innovant créé par la loi en 2016 (art. L.132-3 du Code de l’environnement) pour permettre aux propriétaires fonciers de contribuer volontairement à la protection de l’environnement sur le long terme. Concrètement, l’ORE prend la forme d’un contrat par lequel le propriétaire d’un bien immobilier consent à inscrire, dans l’acte notarié de son bien, une obligation de faire ou de ne pas faire visant la préservation d’un élément de biodiversité ou d’un service écosystémique (par exemple maintenir des prairies, gérer durablement une forêt, ne pas utiliser de pesticides sur une parcelle, préserver des zones humides, etc.). Cette obligation est dite « réelle » car elle est attachée au bien et non à la personne : elle s’impose aux propriétaires successifs du terrain pendant toute la durée du contrat, qui peut aller jusqu’à 99 ans. Même en cas de vente ou de transmission du bien, l’engagement environnemental demeure, assurant ainsi la pérennité des mesures mises en œuvre.
Caractéristiques : Le contrat ORE repose sur le libre consentement des parties – il s’agit d’une démarche purement volontaire, non imposée par la puissance publique. Le propriétaire foncier garde la propriété de son bien et signe l’ORE avec un co-contractant habilité, qui peut être soit une collectivité publique (commune, département, région), un établissement public (par ex. un parc naturel, un établissement public foncier) ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement (par ex. une association de protection de la nature, un conservatoire d’espaces naturels). Ensemble, ils définissent librement le contenu de l’obligation environnementale, adaptée aux spécificités du site et des objectifs écologiques poursuivis. Cette souplesse permet de couvrir une large gamme d’enjeux locaux, y compris des milieux ou pratiques non protégés par le droit classique.
L’ORE est un outil foncier durable : c’est en quelque sorte l’équivalent environnemental d’une servitude conventionnelle, à ceci près qu’il n’y a pas besoin d’un fonds dominant et servant – l’ORE n’existe qu’en elle-même, pour le bénéfice de l’environnement collectif. Pour être valide, le contrat ORE doit être notarié et publié au service de publicité foncière (ce qui le rend opposable aux tiers) mais il bénéficie d’allégements fiscaux (exonération des taxes de publication, etc., afin d’en encourager l’usage). Notons que l’ORE peut également être utilisée dans le cadre de mesures compensatoires réglementaires (pour garantir la durée de mesures de compensation écologique), même si son usage dépasse largement ce seul contexte.
Acteurs et objectifs : Du côté du propriétaire foncier, l’ORE offre la possibilité de s’engager activement dans la protection d’un bien commun environnemental, en inscrivant son bien dans une démarche de gestion durable au-delà de sa propre tenure. C’est un moyen pour un propriétaire « engagé » de laisser une empreinte positive sur son terrain, y compris après sa transmission. Du côté du co-contractant (collectivité, organisme environnemental), l’ORE constitue un levier d’action foncière alternatif à l’acquisition de terres. Plutôt que d’acheter les terrains à protéger (solution onéreuse et pas toujours réalisable), les acteurs publics ou associatifs peuvent, via l’ORE, obtenir des garanties de gestion écologique sur des terrains privés, de manière moins coûteuse et plus partenariale. La finalité est toujours la même : maintenir, conserver, gérer ou restaurer des éléments de la biodiversité ou des services écosystémiques, avec une vision de long terme. Pour la ressource en eau en particulier, l’ORE répond à un besoin de protection durable des zones sensibles (bassins versants, aires de captage) en consacrant une obligation partagée de protéger ces ressources. En d’autres termes, c’est un outil qui inscrit la préservation de l’environnement dans la durée et dans les actes de propriété, en complément des démarches contractuelles plus temporaires comme les PSE.
Des objectifs communs, des mécanismes différents : complémentarités PSE/ORE

Objectif commun : Les PSE et les ORE, bien qu’issus de logiques distinctes, partagent un objectif fondamental : préserver les écosystèmes et les services qu’ils rendent (eau, biodiversité, climat…) en engageant volontairement les acteurs locaux dans des pratiques durables. Ces deux outils incarnent une évolution vers des approches incitatives et contractuelles, non coercitives, pour la protection de l’environnement. Ils permettent de dépasser le seul cadre réglementaire en impliquant directement les parties prenantes (agriculteurs, propriétaires, collectivités, usagers de l’eau…) dans un échange mutuellement bénéfique : rémunération contre services environnementaux pour le PSE, avantage écologique (et éventuellement soutien) contre engagement foncier pour l’ORE. Toutefois, au-delà de cette philosophie commune, PSE et ORE diffèrent par leur champ d’action temporel, leur mode de sécurisation des engagements, et leur logique contractuelle, ce qui fait tout l’intérêt de leur complémentarité.
Temporalité : Le premier contraste tient à la durée des engagements. Un PSE intervient généralement sur le court à moyen terme : les contrats avec les agriculteurs excèdent rarement 5 ans dans les dispositifs publics (cycle pluriannuel renouvelable), parfois 1 an reconductible pour des projets pilotes, ou quelques années suffisant à atteindre un objectif précis. Même certains PSE privés emblématiques – par exemple le programme de Nestlé Waters à Vittel qui liait les agriculteurs sur 18 à 30 ans – restent bornés dans le temps. À l’inverse, l’ORE s’inscrit sur le long terme voire le très long terme : elle peut être conclue pour plusieurs décennies (10, 20, 50 ans…), jusqu’à 99 ans maximum. Cette différence de temporalité est cruciale en matière de protection de la ressource en eau, où les effets bénéfiques peuvent nécessiter du temps (par exemple plusieurs années pour voir baisser le taux de nitrates dans la nappe) et où la pérennité des mesures est essentielle. Un PSE peut amorcer un changement de pratiques sur quelques années, mais seul un engagement de longue durée – tel qu’une ORE – garantit que ces pratiques vertueuses seront maintenues suffisamment longtemps pour produire tous leurs effets et éviter un retour en arrière.
Sécurisation des résultats : En lien direct avec la durée, le niveau de sécurisation des acquis environnementaux diffère. Le PSE repose sur un engagement contractuel personnel de l’agriculteur ou du gestionnaire : une fois le contrat arrivé à échéance (ou si le bénéficiaire décide de ne pas le renouveler), rien n’empêche théoriquement le retour à des pratiques moins durables. Le risque est de voir s’estomper les bénéfices obtenus si les incitations financières disparaissent. L’ORE, en revanche, verrouille juridiquement l’engagement dans le temps : l’obligation environnementale étant attachée à la terre, même un changement de propriétaire n’y met pas fin. C’est un atout majeur pour consolider les résultats écologiques. Comme le souligne un guide pratique, la mise en œuvre d’ORE, en imposant la fourniture de services environnementaux à un foncier donné, « favorise ainsi la pérennité des résultats » obtenus. En d’autres termes, l’ORE offre une assurance anti-retour en arrière : elle inscrit les bonnes pratiques dans la durée, là où le PSE seul peut souffrir d’effets temporaires une fois le paiement arrêté.
Logique contractuelle et obligations : Le cadre juridique des deux outils diverge également. Un PSE relève d’un contrat de service environnemental classique, régi par le code civil et/ou rural selon le cas, qui spécifie des obligations de moyens ou de résultats pour le fournisseur et une contrepartie financière du bénéficiaire. Dans les faits, beaucoup de PSE agricoles fonctionnent sur des obligations de moyens (engagement à mettre en œuvre des pratiques données) avec vérification du respect des actions, conditionnant le paiement. Si le cahier des charges n’est pas respecté, le paiement peut être suspendu ou le contrat résilié, mais il n’y a pas d’autre sanction juridique : le dispositif repose sur l’incitation positive et le volontariat, non sur la contrainte. L’ORE, à l’inverse, est un acte authentique constitutif d’une obligation réelle opposable aux tiers : il est enregistré au fichier immobilier, et crée une obligation légale durable pour le propriétaire et ses successeurs. En cas de non-respect, des recours juridiques sont envisageables (mise en demeure, action en justice du co-contractant pour exécution de l’obligation, etc.), comme pour toute servitude ou obligation contractuelle grevant un bien. La logique est donc plus proche d’un engagement réglementaire volontaire. Par ailleurs, le mode de rémunération diffère : le PSE implique explicitement un paiement (public ou privé) en échange du service rendu, tandis que l’ORE n’implique pas automatiquement de paiement au propriétaire – la loi ne le prévoit pas d’office. En France, le principal avantage matériel consenti aux propriétaires en ORE est une possible réduction de leur taxe foncière locale, ce qui reste modeste. Dès lors, la motivation du propriétaire à signer une ORE réside souvent dans sa sensibilité environnementale personnelle ou dans des contreparties négociées au cas par cas (subvention, assistance technique, défiscalisation, etc.). On voit ici poindre la complémentarité : là où l’ORE apporte la robustesse juridique, le PSE apporte l’incitation financière sans laquelle peu de propriétaires seraient prêts à limiter volontairement l’usage de leurs terres sur du long terme. En résumé, PSE et ORE se distinguent ainsi :
- Horizon temporel : PSE = engagements contractuels limités dans le temps (souvent 1 à 5 ans); ORE = engagements longue durée (jusqu’à 99 ans) transmissibles aux successeurs.
- Nature de l’engagement : PSE = incitation économique conditionnée à des pratiques ou résultats environnementaux; ORE = obligation juridique réelle attachée au foncier, indépendamment de la personne.
- Sécurisation des actions : PSE = résultats garantis pendant la durée du contrat, puis besoin de renégociation ou d’un nouveau dispositif; ORE = résultats sanctuarisés sur le long terme, y compris en cas de vente du terrain.
- Portée contraignante : PSE = volontaire et réversible (un agriculteur peut choisir de ne pas continuer après terme, sans autre pénalité que la fin du paiement); ORE = volontaire mais engageant (difficilement révocable unilatéralement, engage légalement le propriétaire et ses héritiers sur la période convenue).
- Rétribution : PSE = paiement prévu au contrat (argent, aide en nature, avantages divers); ORE = pas de paiement obligatoire intégré, mais souvent couplée à des aides financières ou fiscales pour être incitative.
Malgré ces différences, il est clair que les deux approches poursuivent une finalité convergente (soutenir des pratiques bénéfiques à l’environnement) et qu’elles peuvent s’alimenter mutuellement : le PSE crée une dynamique de changement, et l’ORE permet de l’inscrire dans la durée. Dans le contexte de la protection de l’eau, où il faut à la fois agir vite pour réduire les pollutions diffuses et tenir compte du temps long des écosystèmes (latence des nappes, inertie des sols), combiner ces deux outils apparaît particulièrement prometteur.
Articuler PSE et ORE : exemples concrets et conditions de réussite
Associer un paiement pour services environnementaux à une obligation réelle environnementale revient à combiner le « carrot and stick » de manière innovante, ou plus positivement, à allier la carotte financière et le cadre sécurisant du contrat foncier. Concrètement, cela signifie qu’un propriétaire ou exploitant recevrait un soutien financier en échange de pratiques vertueuses (principe du PSE) et formaliserait simultanément son engagement à long terme par un contrat attaché à sa terre (principe de l’ORE). Plusieurs expériences et cas d’école illustrent la complémentarité de ces mécanismes, notamment dans le domaine de l’eau.
1. Protection d’aire de captage – l’exemple de Vittel (Vosges) : Dès 1992, confrontée à la hausse des nitrates menaçant la qualité de ses sources, l’entreprise Vittel (Groupe Nestlé Waters) a mis en place un dispositif pionnier de type PSE pour protéger son bassin d’alimentation de captage. Elle a créé une filiale (Agrivair) qui a proposé aux agriculteurs de la zone de longues conventions (18 à 30 ans) visant à transformer leurs pratiques : abandon de la culture de maïs intensif, passage à un élevage extensif avec moins de cheptel, modification de l’alimentation animale, arrêt total des pesticides et engrais chimiques, etc.. En échange, les agriculteurs ont bénéficié d’un accompagnement technique gratuit sur la durée, d’une aide financière d’environ 200 €/ha par an pendant 5 ans pour amorcer la transition, ainsi que de subventions pour s’équiper en matériel adapté. Le financement était assuré principalement par Nestlé (fonds privés), avec un cofinancement de l’Agence de l’eau Rhin-Meuse et des collectivités locales, témoignant d’un partenariat public-privé innovant. Les résultats ont été probants : les agriculteurs ont massivement réduit la pollution diffusive, permettant à Vittel de sauvegarder la pureté de son eau souterraine sur un territoire de 10 000 ha.
Bien que l’outil ORE n’existait pas à l’époque, on voit bien comment il aurait pu renforcer encore ce dispositif. Les contrats, bien que longs, restaient signés avec les personnes : en cas de vente d’une ferme, il fallait renégocier avec le repreneur. Si des ORE avaient été conclues en parallèle, attachant par exemple aux parcelles l’interdiction d’y remettre des cultures intensives ou des produits chimiques, la pérennité des bonnes pratiques aurait été juridiquement assurée au-delà de chaque exploitant. Dans l’esprit, le montage de Vittel préfigurait déjà cette articulation : une incitation financière forte couplée à un engagement de longue durée. Aujourd’hui, d’autres territoires s’inspirent de cet exemple en y intégrant l’ORE : des collectivités ou syndicats des eaux peuvent conclure des ORE avec les propriétaires des terres critiques (périmètres de captage) pour graver dans le marbre les pratiques souhaitées, tout en mobilisant des PSE pour rémunérer la transition agro-écologique. On obtient alors un dispositif « gagnant-gagnant » : la collectivité garantit la protection de sa ressource en eau sur le long terme, et l’agriculteur est assuré d’un soutien financier et technique, avec visibilité sur plusieurs décennies.
2. Haies bocagères et infrastructures agroécologiques : Les haies champêtres, bosquets, bandes enherbées et autres éléments paysagers jouent un rôle important pour la qualité de l’eau (réduction du ruissellement et de l’érosion, épuration par phytorémédiation, restauration de la biodiversité utile, etc.). Cependant, leur maintien en zone agricole n’est pas toujours garanti, faute de rentabilité directe. C’est un domaine où le couplage PSE-ORE prend tout son sens. Par exemple, en Occitanie, le programme « Climat Local » porté à l’origine par l’ARPE Midi-Pyrénées a soutenu financièrement la plantation de haies bocagères chez des agriculteurs, via un mécanisme volontaire de compensation carbone privée (des entreprises finançant des haies pour compenser leurs émissions). Plus de 15 km de haies ont été plantés grâce à ces paiements incitatifs. Pour autant, rien n’empêchera qu’à l’avenir certaines de ces haies soient arrachées si les exploitations changent ou en l’absence d’obligation durable. C’est ici qu’une ORE peut intervenir : on peut imaginer qu’en contrepartie de la prime versée pour la plantation, le propriétaire s’engage via une ORE à conserver et entretenir les haies pendant, disons, 30 ans minimum. Ainsi, l’investisseur (public ou privé) qui a subventionné l’implantation est assuré que l’infrastructure agroécologique rendra ses services dans le temps long. Ce schéma n’a rien d’utopique : en Normandie, le premier agriculteur français a signé en 2019 une ORE sur son exploitation de 20 ha pour 50 ans, en partenariat avec le Conservatoire des espaces naturels. Parmi les obligations inscrites figuraient justement la préservation des haies et des mares existantes, ainsi que l’absence d’utilisation de pesticides sur ses parcelles. Autrement dit, ce propriétaire a volontairement grevé son bien d’un ensemble de bonnes pratiques à long terme. On peut penser que ce type d’engagement serait grandement facilité si, en parallèle, un dispositif de PSE venait rémunérer le maintien de ces éléments paysagers (par exemple via une prime annuelle pour entretien des haies, ou une aide au manque à gagner sur les surfaces non cultivées). Là encore, l’ORE garantit la durabilité écologique, tandis que le PSE rend l’engagement attractif économiquement pour le propriétaire. L’expérience normande montre aussi l’importance d’un partenaire technique (ici le Conservatoire) pour accompagner le propriétaire dans le suivi des obligations – un point de succès que l’on retrouve dans beaucoup de PSE (rôle de conseil agricole).
3. Pratiques agricoles sur bassins versants – initiatives des agences de l’eau : Suite à l’approbation par la Commission européenne en 2020 d’un régime d’aides dédié, plusieurs Agences de l’eau françaises ont lancé des appels à projets PSE afin de rémunérer des agriculteurs pour des pratiques favorables à l’eau et à la biodiversité. Par exemple, l’Agence de l’eau Rhin-Meuse encourage via des PSE la création de prairies permanentes, l’allongement des rotations, l’implantation de cultures à bas intrant, la réduction des pesticides, la couverture hivernale des sols, la plantation et la préservation de haies, ainsi que la protection de zones humides, le tout afin d’améliorer la qualité de l’eau sur des secteurs à enjeu. De son côté, l’Agence Artois-Picardie finance des projets visant soit à limiter les inondations par des pratiques anti-érosion, soit à faire évoluer les pratiques d’élevage sur des prairies humides sensibles. Ces dispositifs, en cours d’expérimentation, prennent généralement la forme de contrats de 5 ans avec les agriculteurs volontaires. La question de l’après-5 ans se pose donc : comment maintenir ces services environnementaux une fois l’aide terminée ? C’est ici que l’intégration de l’ORE dans la stratégie territoriale pourrait faire la différence. Par exemple, une communauté de communes ou un syndicat de bassin versant pourrait proposer aux agriculteurs bénéficiaires du PSE de formaliser certains engagements sur le long terme via une ORE, notamment sur les parcelles les plus cruciales (proches d’un captage d’eau potable, zones inondables, etc.). Moyennant quoi, ces agriculteurs pourraient continuer à percevoir une rémunération, peut-être moindre mais stable, ou d’autres avantages (accompagnement technique gratuit, visibilité sur l’avenir de leur activité) en vertu du contrat ORE. Les acteurs de l’eau y gagneraient la garantie juridique que les pratiques vertueuses (par ex. prairie sans labour, bandes enherbées le long des cours d’eau, etc.) perdureront au-delà du cycle de subvention, évitant de devoir sans cesse recruter de nouveaux volontaires ou traiter des pollutions récurrentes. Comme le soulignent des experts, coupler ORE et PSE offre un levier puissant pour les politiques de l’eau : l’ORE engage le propriétaire sur le long terme avec des garanties d’application, tandis que le PSE apporte un cadre sécurisant et incitatif, donnant au propriétaire une visibilité économique et technique pour s’adapter sur la durée.
4. Autres combinaisons possibles : On pourrait multiplier les exemples. Citons le cas des zones humides : un PSE peut rémunérer un agriculteur pour restaurer une mare ou retarder la fauche d’une prairie humide (bénéfices pour l’épuration de l’eau et la biodiversité), et une ORE peut ensuite empêcher légalement que cette zone humide ne soit drainée ou retournée à l’avenir. De même, en viticulture, un PSE peut encourager la réduction des intrants, et une ORE pourrait inscrire dans le bail viticole certaines pratiques de gestion durable des sols sur le long terme. Il existe aussi des outils contractuels hybrides comme le bail rural environnemental (BRE), bail agricole incluant des clauses écologiques, qui se rapproche de l’esprit des ORE sur des terres louées. En combinant baux environnementaux, ORE et PSE, on peut imaginer des montages où un organisme (par ex. une collectivité ou un établissement public foncier) achète des terres stratégiques, les loue à un fermier sous condition de bonnes pratiques (BRE), aide financièrement via un PSE pour compenser les efforts, et parallèlement grève le bien d’une ORE pour être sûr que même un changement de locataire ou de propriétaire n’annulera pas les efforts accomplis. Ce type d’approche intégrée commence à peine à émerger, mais plusieurs régions y réfléchissent dans le cadre de projets territoriaux de transition agroécologique.

Conditions de réussite : Si l’articulation PSE-ORE offre un potentiel remarquable, sa mise en œuvre requiert certaines conditions pour réussir pleinement :
- Volonté politique et vision stratégique : L’engagement dans des ORE couplées à des PSE suppose une ambition à long terme de la part des décideurs locaux (élus, agences de l’eau…). Il faut inscrire ces outils dans une stratégie foncière et environnementale globale à l’échelle du territoire. Par exemple, une collectivité qui protège son captage doit planifier sur 10-20 ans les actions à mener : identifier les zones à enjeux, choisir où proposer des ORE (éventuellement en priorisant les parcelles les plus vulnérables), prévoir le budget pour les PSE associés, etc. Une telle démarche s’intègre bien dans des projets de territoire ou des contrats eau-climat locaux.
- Information et implication de tous les acteurs : La réussite passe par une gouvernance locale participative. Il est crucial d’informer et de mobiliser en amont les propriétaires fonciers, les agriculteurs, mais aussi les usagers de l’eau, les habitants, les techniciens et les élus. Les ORE étant encore peu connues du grand public, un effort pédagogique est nécessaire pour en expliquer le fonctionnement et lever d’éventuelles craintes. De même, les agriculteurs doivent être associés à la définition des engagements PSE/ORE pour s’assurer qu’ils sont réalistes et acceptables. Les retours d’expériences montrent que les projets de protection de l’eau réussissent mieux quand tous les acteurs se sentent coparticipants et que les règles du jeu sont établies de manière transparente et équitable. Dans le cas des ORE, il est recommandé que le co-contractant soit un acteur local légitime et de confiance – par exemple un syndicat d’eau potable ou une commune – qui pourra dialoguer directement avec les propriétaires et animer le projet sur le terrain.
- Accompagnement technique et financier des propriétaires : On ne le répétera jamais assez : sans incitations suffisantes, peu de propriétaires ou d’exploitants s’engageront durablement. Il faut donc prévoir des compensations justes pour les contraintes acceptées. Les PSE fournissent ce levier financier : le niveau de paiement doit être calibré de façon attractive (par rapport au manque à gagner agricole, aux coûts de mise en place des mesures, etc.). Par exemple, payer un agriculteur pour maintenir une prairie non labourée n’a de sens que si cela couvre au moins en partie la différence de revenu avec une culture intensive. Outre l’aspect financier, un accompagnement technique est indispensable : conseil agronomique, suivi des résultats, aide administrative pour les contrats, etc. Dans l’exemple de Vittel, la mise à disposition d’ingénieurs agronomes et d’un suivi régulier a été un facteur clé pour l’adoption des nouvelles pratiques. De même, dans tout couplage PSE-ORE, le propriétaire doit se sentir soutenu et conseillé, pas abandonné avec ses obligations. Ce soutien peut provenir d’institutions publiques (Chambre d’agriculture, Agence de l’eau) ou d’associations spécialisées. En retour, cela conforte le propriétaire dans sa visibilité d’activité : un contrat ORE bien conçu lui donne des garanties (il sait sur quelle durée il s’engage et quelles aides il aura, ce qui lui permet de planifier son système de production).
- Transparence, confiance et équilibre des engagements : S’engager sur des décennies n’est pas anodin pour un propriétaire ; il peut légitimement s’inquiéter de la perte de valeur de son bien ou des contraintes pour ses héritiers. Il est donc primordial de construire des contrats équilibrés et acceptés. Cela passe par une concertation approfondie sur le contenu de l’ORE : quelles obligations exactes (ne pas labourer, planter des haies, etc.), sur quelles parties du terrain, quelles exceptions éventuelles, etc. Le propriétaire doit comprendre qu’il ne « brade » pas son bien mais au contraire qu’il le valorise différemment (par ex., un terrain grevé d’une ORE favorable à la biodiversité peut ouvrir droit à des aides ou attirer des acquéreurs sensibles à l’environnement). La discussion doit aussi porter sur les compensations : quel soutien financier en contrepartie de l’ORE, quels avantages (par ex. priorité pour certaines subventions, réduction de taxes…). Tout doit être mis sur la table avec transparence afin de parvenir à un accord gagnant-gagnant sur le long terme. Les expériences à l’étranger montrent que des incitations fiscales fortes aident à déployer ce type d’outil (aux USA ou Canada, les dons de servitudes environnementales donnent lieu à des crédits d’impôt et exonérations successorales). En France, le cadre est moins incitatif fiscalement, d’où l’importance de prévoir d’autres formes d’avantages via les PSE ou les politiques locales. En un mot, la confiance doit être établie entre propriétaire et co-contractant : l’un s’engage à préserver le bien commun, l’autre à le récompenser et à l’appuyer dans cette mission.
- Suivi et évaluation dans la durée : Enfin, une articulation réussie implique de suivre les résultats et de s’adapter au fil du temps. Un contrat ORE-PSE n’est pas figé pour un demi-siècle sans aucun ajustement possible : il peut comporter des clauses de revoyure, et les PSE, eux, peuvent être modulés selon l’efficacité observée. Mettre en place des indicateurs de performance (par ex. évolution des teneurs en nitrates, biodiversité présente, etc.) permet de vérifier que le duo PSE-ORE atteint bien ses objectifs sur l’eau. En cas de besoin, le co-contractant et le propriétaire peuvent ajuster certaines pratiques (avec avenants) ou renforcer l’accompagnement. Cette souplesse, combinée à la stabilité de l’engagement de fond, offre un cadre optimal pour la réussite sur le long terme.
En respectant ces conditions – vision à long terme, inclusion des acteurs, juste équilibre entre incitations et obligations, accompagnement et suivi – l’articulation entre paiements pour services environnementaux et obligations réelles environnementales peut devenir un outil redoutablement efficace de protection de l’eau.
Exemple schématique de complémentarité entre outils : un propriétaire foncier signe une ORE (cadenas symbolisant l’engagement durable attaché à la terre) tout en bénéficiant d’un soutien financier de type PSE (main offrant de l’argent), ce qui permet la préservation au long cours d’un service écosystémique (arbre représentant la biodiversité et la ressource en eau).
Conclusion : Un potentiel stratégique pour des politiques territoriales intégrées
En combinant l’efficacité immédiate des incitations économiques et la sécurité juridique des engagements durables, l’articulation PSE-ORE s’affirme comme un levier prometteur pour relever le défi de la préservation de la ressource en eau. Elle permet d’engager les agriculteurs et propriétaires fonciers dans des changements de pratiques vertueux, tout en garantissant que ces efforts s’inscrivent dans la durée et profitent aux générations futures. Cette approche répond à la fois au besoin de réactivité (agir vite face aux pollutions diffuses) et de vision à long terme (assurer une protection pérenne des aires d’alimentation de captage, des zones humides, des paysages bocagers, etc.).
Pour les collectivités territoriales, les opérateurs de l’eau et les acteurs locaux, s’emparer de la complémentarité entre PSE et ORE représente une opportunité stratégique. Elle ouvre la voie à des politiques territoriales intégrées, où agriculture, environnement et gestion de l’eau avancent main dans la main. Plutôt que d’opposer protection de l’eau et activité agricole, ces outils offrent un cadre de coopération contractuelle où chacun y trouve son compte : les agriculteurs sont valorisés et soutenus dans la transition agroécologique, les collectivités atteignent leurs objectifs de qualité d’eau à moindre coût sur le long terme, et les milieux naturels sont restaurés de manière durable. Dans un contexte de changement climatique et de tension accrue sur la ressource en eau, déployer de tels dispositifs peut s’avérer crucial pour garantir la résilience des territoires.
En conclusion, l’articulation PSE-ORE n’est pas une panacée universelle, mais elle constitue un puissant catalyseur d’actions préventives en matière de protection de l’eau. Elle mérite d’être expérimentée et développée largement. Les quelques exemples (Vittel, projets des agences de l’eau, agriculteurs conservant leurs haies…) montrent qu’en surmontant les barrières initiales et en réunissant les bonnes conditions, on peut construire des solutions gagnantes pour tous. Aux élus locaux, aux gestionnaires de l’eau, aux agriculteurs pionniers et aux juristes innovants d’inventer ensemble ces nouveaux contrats territoriaux qui concilient production agricole et intérêt général. Une telle démarche, discrètement promotionnée ici, invite chaque acteur à y voir un investissement d’avenir : celui d’une eau plus saine, d’une biodiversité préservée et d’une agriculture durablement valorisée. C’est en forgeant ces alliances entre économie et écologie, entre court terme et long terme, que nous préserverons durablement la ressource en eau sur nos territoires.
Sources : Les informations et exemples cités proviennent des guides officiels sur les PSE et les ORE, de retours d’expérience documentés (cas de Vittel, projets haies en Occitanie, première ORE en Normandie), ainsi que d’analyses récentes sur l’articulation de ces outils dans la politique de l’eau. Ces sources soulignent toutes le potentiel de la complémentarité PSE-ORE pour une gestion durable de l’eau, tout en insistant sur la nécessité d’un accompagnement adapté des acteurs locaux dans cette voie innovante.
Pour aller plus loin :
- Les paiements pour services environnementaux en agriculture
Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire
📄 Consulter le document (PDF) - Guide à destination des acteurs privés – Déployer des PSE en agriculture
Étude pour le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, réalisée par Vertigo Lab, INRA, Oréade-Brèche
📄 Télécharger le guide (PDF) - Obligation réelle environnementale – Fiche du ministère de la Transition écologique
Ministères de l’Aménagement du territoire et de la Transition écologique
📄 Consulter en ligne - Guide méthodologique – Obligation réelle environnementale (ORE)
Rédigé en partenariat avec le CEREMA
📄 Télécharger le guide (PDF) - Étude sur le cas de Vittel (Nestlé Waters) et les paiements environnementaux
Cité dans les documents précédents et dans diverses publications scientifiques et institutionnelles