Face à l’urgence écologique et à l’érosion de la biodiversité, de nouveaux outils émergent pour renforcer la protection de l’environnement. Parmi eux, l’obligation réelle environnementale (ORE) reste encore largement méconnue, bien qu’elle offre un potentiel considérable. Créée par la loi pour la reconquête de la biodiversité de 2016, cette disposition permet à tout propriétaire foncier d’engager volontairement son bien dans une démarche de conservation environnementale, par un contrat à long terme.
Ni servitude imposée, ni outil fiscal, l’ORE repose sur un principe simple : associer la propriété foncière à une responsabilité environnementale pérenne, transmissible aux futurs acquéreurs. Cette approche contractuelle, souple et adaptable, ouvre la voie à une gestion plus durable des espaces naturels, en dehors des dispositifs réglementaires traditionnels. Pourtant, malgré ses atouts, elle reste sous-utilisée, faute d’information, de visibilité et parfois de clarté juridique.
Cet article vise à décoder ce mécanisme innovant, à en explorer les conditions, les usages possibles et les limites, pour mieux en saisir les enjeux et encourager sa diffusion.
Qu’est-ce que l’obligation réelle environnementale (ORE) ?
L’obligation réelle environnementale (ORE) est un outil juridique introduit par l’article L.132-3 du Code de l’environnement, dans le cadre de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (2016). Son objectif : permettre à un propriétaire foncier d’attacher volontairement à son bien immobilier une obligation de protection environnementale, qui perdure dans le temps, y compris en cas de changement de propriétaire.
Concrètement, l’ORE prend la forme d’un contrat signé entre le propriétaire et une personne morale agissant pour l’environnement – collectivité publique, établissement public ou association. Ce contrat peut fixer des engagements de conservation, de restauration ou de gestion d’un espace naturel, pour une durée maximale de 99 ans.
La particularité de l’ORE est qu’elle crée une obligation « réelle », c’est-à-dire attachée au bien lui-même, et non à la personne du propriétaire. Elle constitue ainsi une forme de servitude volontaire, mais au service de la biodiversité et des services écosystémiques.
Souple et adaptable, le contrat ORE permet d’intervenir en dehors des périmètres protégés classiques. Il s’agit d’un instrument foncier innovant qui redonne aux propriétaires un rôle actif dans la transition écologique, tout en renforçant la sécurité juridique des engagements environnementaux.
Fonctionnement et acteurs concernés
L’ORE repose sur un principe de libre consentement entre les parties. Elle n’est ni imposée ni standardisée : chaque contrat est le fruit d’un accord spécifique, adapté aux enjeux locaux et aux objectifs des signataires. Cette souplesse fait sa force, mais suppose aussi une bonne compréhension des modalités juridiques.

Qui peut signer un contrat ORE ?
Trois types de structures peuvent conclure un contrat avec un propriétaire foncier :
- Les collectivités territoriales (communes, départements, régions),
- Les établissements publics (ex. : agences de l’eau, conservatoires d’espaces naturels),
- Les personnes morales de droit privé à but environnemental, comme les associations de protection de la nature.
Le propriétaire garde l’entière propriété de son bien, mais il s’engage à respecter les termes du contrat, qui sont ensuite opposables aux acquéreurs futurs.
Des obligations durables et transmissibles
Une ORE peut être conclue pour une durée déterminée, allant jusqu’à 99 ans. Les engagements inscrits dans le contrat restent attachés au bien immobilier : en cas de vente ou de succession, le nouvel acquéreur hérite aussi des obligations environnementales. Cela garantit la pérennité des mesures de protection, au-delà des aléas liés aux changements de propriétaires.
Une forme encadrée, mais accessible
Le contrat ORE doit être :
- Authentique (signé devant notaire),
- Enregistré au service de la publicité foncière.
Fait notable, il est exempté de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière et de contribution de sécurité immobilière, ce qui le rend financièrement plus accessible que d’autres actes fonciers.
Ce fonctionnement repose sur la volonté des parties et leur engagement moral, mais il s’inscrit dans un cadre juridique clair, garantissant sa solidité et sa transparence.
III. Objectifs et applications concrètes
L’ORE se distingue par sa finalité strictement environnementale. Elle vise à maintenir ou restaurer des écosystèmes, à gérer durablement des milieux naturels ou à préserver des espèces et leurs habitats. Ce contrat peut couvrir une large palette d’enjeux écologiques, en s’adaptant aux spécificités locales.
Un outil au service de la biodiversité

Les objectifs assignés à une ORE peuvent inclure :
- la préservation d’habitats naturels rares ou menacés,
- la restauration de milieux dégradés (zones humides, prairies, haies, etc.),
- la gestion raisonnée d’un espace (fauche tardive, absence de pesticides, pâturage extensif…),
- ou encore le maintien de corridors écologiques.
L’ORE peut ainsi être mobilisée sur des parcelles non couvertes par des statuts de protection réglementaire, en complément ou en renforcement des dispositifs existants.
Des usages concrets et variés

Il existe plusieurs cas d’usage :
- Compensation environnementale : l’ORE peut formaliser les engagements de compensation d’un aménageur après destruction d’un habitat naturel.
- Articulation avec un bail rural : elle peut coexister avec un bail agricole, à condition d’être compatible avec l’usage des terres.
- Pratique de la chasse : un contrat ORE peut intégrer des restrictions sur la chasse pour favoriser la quiétude de certaines espèces.
- Site Natura 2000 : elle peut soutenir les objectifs de conservation des sites protégés.
Cette souplesse d’application rend l’ORE particulièrement utile pour répondre à des enjeux de biodiversité hors des dispositifs habituels. Elle peut aussi favoriser une gestion concertée entre acteurs locaux, naturalistes, agriculteurs, collectivités et propriétaires privés.
Intérêts et limites de l’ORE
L’obligation réelle environnementale se présente comme une solution pragmatique et juridiquement solide pour engager les propriétaires fonciers dans la protection durable de l’environnement. Toutefois, son déploiement reste encore limité. Un regard critique permet d’en cerner les atouts, mais aussi les freins.

Des avantages multiples
- Sécurisation juridique : les engagements sont clairs, durables et opposables. Cela garantit la continuité des actions environnementales, même en cas de revente du bien.
- Souplesse contractuelle : le contenu du contrat est librement défini par les parties, ce qui permet d’adapter les mesures aux réalités écologiques et économiques locales.
- Coût réduit : l’absence de droits d’enregistrement et de taxes rend l’ORE accessible, notamment pour les propriétaires modestes.
- Valorisation patrimoniale : dans certains cas, une ORE peut valoriser un bien immobilier en affichant un engagement environnemental reconnu.
Des obstacles persistants
- Manque de notoriété : l’ORE est encore peu connue, tant des propriétaires que des collectivités ou des acteurs de terrain.
- Complexité juridique perçue : la formalisation devant notaire et l’enregistrement peuvent freiner certaines démarches, surtout en l’absence d’accompagnement.
- Absence d’incitations fortes : contrairement à d’autres outils (zones protégées, subventions), l’ORE repose entièrement sur la volonté des parties, sans dispositif incitatif systématique.
- Suivi et contrôle limités : une fois le contrat signé, son application dépend de la vigilance du cocontractant. L’absence de mécanismes de suivi normalisés peut nuire à son efficacité à long terme.
Ainsi, malgré ses qualités, l’ORE nécessite un effort de diffusion et d’accompagnement pour devenir un outil courant dans la boîte à outils de la transition écologique. Elle offre un pont entre propriété privée et intérêt général, mais reste à consolider par des pratiques partagées et une meilleure visibilité.
Un levier sous-coté pour la transition
À l’heure où la protection de la biodiversité devient un enjeu central des politiques publiques, l’obligation réelle environnementale offre une voie originale et encore sous-exploitée. En associant volontairement les propriétaires fonciers à des engagements durables de préservation, elle permet d’ancrer localement des dynamiques de conservation efficaces, en dehors des seules zones protégées.
Instrument souple, fondé sur le contrat et la responsabilisation, l’ORE permet d’adapter la protection de l’environnement aux réalités du terrain. Mais pour qu’elle joue pleinement son rôle, encore faut-il lever les freins juridiques, techniques et culturels qui en limitent la portée.
Il est temps que les acteurs publics, les collectivités, les associations et les notaires s’en emparent davantage, en informant, en accompagnant et en valorisant les initiatives. Car derrière ce dispositif discret se cache un puissant levier pour une transition écologique partagée, concrète, et surtout pérenne.
Pour aller plus loin :
https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/obligation-reelle-environnementale