Introduction
La transition écologique n’est plus une option, mais une nécessité urgente. La Cour des comptes, fidèle à sa mission d’évaluer les politiques publiques, publie désormais chaque année un rapport dédié à ce chantier majeur. L’édition 2025 dresse un constat sans appel : malgré certains progrès, la France reste en retard sur ses engagements climatiques et environnementaux.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : réchauffement global de +1,24 °C en une décennie, 30 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre depuis 1990 mais un rythme insuffisant, effondrement de la biodiversité et aggravation des pressions sur l’eau, les sols et les écosystèmes. Surtout, le coût de l’inaction pourrait atteindre 11,4 points de PIB perdus d’ici 2050 pour la France, bien supérieur aux investissements nécessaires pour réussir la transition.
Dans ce contexte, la Cour des comptes met en lumière les leviers d’action, les besoins financiers (estimés à 110 Md€ par an d’ici 2030) et formule plusieurs recommandations stratégiques. Entre gouvernance fragilisée, planification financière encore incomplète et nécessité d’une mobilisation massive du secteur privé, ce rapport fournit une grille de lecture essentielle pour comprendre les défis et opportunités de la transition écologique.

1. Une urgence écologique démontrée par les chiffres
La Cour des comptes rappelle que la dégradation environnementale n’est plus une projection théorique : elle est déjà mesurable et ses conséquences se multiplient.
Un climat qui s’emballe

La température mondiale a progressé de +1,24 °C en dix ans, soit un rythme inédit de +0,27 °C par décennie. Les émissions de gaz à effet de serre ont doublé depuis l’ère préindustrielle et, si elles se maintiennent, le seuil critique de +1,5 °C pourrait être franchi dans seulement trois ans. Cela signifie pour la France une augmentation attendue de +2,7 °C d’ici la fin du siècle, avec des vagues de chaleur, sécheresses et inondations plus fréquentes et plus intenses.
Des écosystèmes sous pression
- Pollinisateurs : en Europe, les populations d’insectes pollinisateurs ont chuté de 80 % en vingt ans, menaçant directement la sécurité alimentaire.
- Sols : environ 9 % des terres agricoles mondiales sont déjà contaminées par des métaux lourds comme le cadmium.
- Biodiversité : le rythme actuel d’extinction des espèces est qualifié de « massif » par l’IPBES, avec une perte accélérée de services écosystémiques essentiels (fertilité des sols, dépollution de l’eau, régulation du climat).

Un coût économique croissant

Les dérèglements climatiques et environnementaux génèrent des pertes financières de plus en plus lourdes :
- En 2024, les grands réassureurs estiment à 300 milliards d’euros les dommages économiques directs liés aux catastrophes naturelles dans le monde.
- Pour la France, si rien n’est fait, le statu quo des politiques climatiques entraînerait une perte de 11,4 points de PIB à l’horizon 2050.
Une conclusion sans appel
Ces données confirment que le coût de l’inaction est bien supérieur à celui de la transition. Chaque année de retard accroît la facture, alourdit la dette environnementale et réduit notre capacité d’adaptation. La Cour souligne qu’une action immédiate, coordonnée et cohérente est indispensable pour éviter des pertes irréversibles, tant économiques qu’écologiques.
2. Des progrès réels mais encore insuffisants
La France n’est pas restée inactive face aux enjeux climatiques. Des efforts ont été réalisés, et certains résultats sont visibles. Mais la Cour des comptes le souligne : ces progrès, bien que réels, restent trop modestes pour répondre aux engagements européens et internationaux.
Une baisse des émissions de GES encourageante, mais insuffisante

Entre 1990 et 2023, les émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France ont reculé de 30 %. Ce chiffre traduit une dynamique positive, mais insuffisante pour atteindre l’objectif européen de –55 % d’ici 2030. Les données provisoires de 2024 montrent que le rythme de réduction s’essouffle, mettant en péril la trajectoire vers la neutralité carbone en 2050.

Le grand oublié : l’empreinte carbone importée

Un angle mort majeur de la stratégie française réside dans les émissions importées : celles générées à l’étranger par la production des biens et services consommés en France.
- Depuis 1990, ces émissions n’ont cessé d’augmenter.
- Elles ne sont soumises à aucun objectif de réduction.
- Elles faussent la lecture des progrès nationaux, puisqu’une partie de la pollution est simplement « délocalisée ».
Des retards persistants sur d’autres volets environnementaux
La transition écologique ne se limite pas à la réduction des émissions de CO₂. Or, les constats sont préoccupants :

- Biodiversité : le déclin se poursuit, malgré les engagements pris dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique.
- Adaptation au changement climatique : les mesures tardent à être mises en place alors que les impacts (sécheresses, inondations, canicules) s’amplifient.
- Déchets : leur volume continue d’augmenter, traduisant une économie encore trop linéaire.
- Eau : la qualité et la disponibilité des ressources hydriques se dégradent sous l’effet combiné de la pollution, de l’urbanisation et des changements du cycle de l’eau.

Des politiques publiques encore trop fragmentées
La Cour pointe un problème structurel : la dispersion des stratégies et des instruments (plans climat, biodiversité, déchets, eau, etc.), qui nuit à la lisibilité et à l’efficacité des politiques. Le manque d’objectifs chiffrés et d’indicateurs de suivi limite par ailleurs la capacité à piloter et à ajuster les actions.
3. Gouvernance et planification : un pilotage encore fragile
La réussite de la transition écologique dépend autant des moyens financiers que de la capacité des institutions à planifier, coordonner et piloter l’action publique. La Cour des comptes reconnaît des avancées, mais souligne que la gouvernance reste fragile et insuffisamment structurée.
Un renforcement institutionnel avec le SGPE

Depuis 2022, le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), rattaché au Premier ministre, a été créé pour :
- élaborer une feuille de route globale et cohérente de la transition bas-carbone ;
- faciliter les arbitrages interministériels ;
- assurer un suivi régulier des résultats.
Ce dispositif est perçu comme une innovation positive, permettant de dépasser la seule action du ministère de l’Écologie et d’impliquer l’ensemble des ministères dans la planification écologique.
Un rôle affaibli dans le contexte actuel
Malgré cette avancée, la position du SGPE s’est fragilisée. Plusieurs facteurs expliquent cette perte d’influence :
- la priorité donnée aux enjeux budgétaires (réduction de la dette publique dès 2026) ;
- la multiplication des crises internationales (conflits armés, tensions économiques) qui relèguent la transition écologique au second plan ;
- des difficultés persistantes à imposer des choix cohérents et contraignants dans les arbitrages gouvernementaux.
La Cour recommande de redonner au SGPE son rôle d’impulsion et de mise en cohérence, afin qu’il puisse orienter efficacement les politiques publiques vers les solutions les plus pertinentes.
La territorialisation : un enjeu clé mais encore inabouti


Les collectivités locales sont en première ligne pour traduire la transition écologique dans des actions concrètes (mobilité, urbanisme, eau, biodiversité). Plusieurs outils existent :
- SRADDET (schémas régionaux d’aménagement et de développement durable),
- PCAET (plans climat-air-énergie territoriaux),
- PLU et PLUi (plans locaux d’urbanisme).
Depuis peu, des conférences des parties régionales (COP régionales) ont été mises en place pour renforcer la cohérence entre les stratégies locales et nationales. Mais cette dynamique reste hétérogène et encore imparfaite. La Cour insiste sur la nécessité d’un suivi rigoureux, tant en termes de financements que de résultats obtenus.

4. Le financement : clé de la réussite
Si l’urgence écologique est désormais indiscutable, sa traduction concrète dépend avant tout de la capacité à mobiliser des moyens financiers massifs et stables dans le temps. La Cour des comptes insiste : réussir la transition nécessitera des investissements publics et privés supplémentaires, dont le chiffrage s’affine mais reste considérable.

Des besoins financiers estimés à 110 Md€ par an d’ici 2030
La Stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique (SPAFTE), publiée pour la première fois en 2024, évalue les besoins à environ 110 milliards d’euros par an supplémentaires d’ici 2030 (par rapport aux niveaux de 2021).
- Ces montants couvrent principalement la décarbonation des bâtiments, transports et énergies.
- D’autres volets, comme l’adaptation au changement climatique, restent encore mal évalués faute de méthodologies robustes.
Une majorité des financements portée par le secteur privé
Aujourd’hui, environ 80 % des investissements en faveur de la transition proviennent déjà des acteurs privés (ménages, entreprises, finance).
- Ménages : rénovation énergétique des logements, mobilité bas-carbone.
- Entreprises : modernisation industrielle, développement des énergies renouvelables.
- Secteur financier : orientation progressive des capitaux via la taxonomie européenne et les obligations de reporting extra-financier.
La Cour souligne que cette part devra encore s’accroître, ce qui pose la question de la rentabilité économique et de la capacité financière des ménages.
Des leviers existants mais encore sous-utilisés
La transition repose sur un mix de politiques publiques, dont chacune présente ses forces et limites :
- Budgets verts : l’analyse environnementale du budget de l’État (depuis 2020) apporte de la transparence mais ne trace pas de trajectoire pluriannuelle.
- Fiscalité et tarification carbone : application du principe pollueur-payeur, taxation des énergies fossiles, extension des marchés carbone.
- Réglementation : normes de construction, interdiction progressive de certains produits polluants.
- Sobriété : rénovation énergétique, réduction de la consommation matérielle et énergétique.
- Réduction des dépenses dommageables : peu avancée, malgré l’importance de réorienter les subventions encore favorables aux énergies fossiles.
Un besoin de priorisation et d’équité
La Cour insiste sur deux conditions pour réussir ce financement colossal :
- Hiérarchiser les leviers : privilégier les outils les plus efficaces et les moins coûteux pour les finances publiques.
- Assurer une transition juste : évaluer la capacité réelle des ménages à supporter les investissements (endettement, reste à charge, disparités territoriales).
Elle recommande l’élaboration de scénarios comparés pour cibler les aides publiques de manière équitable et déclencher les investissements privés là où la rentabilité est faible ou incertaine.
5. Les recommandations de la Cour des comptes
Face à l’urgence climatique, aux besoins financiers massifs et aux fragilités de gouvernance identifiées, la Cour des comptes formule six recommandations structurantes pour améliorer l’efficacité et l’équité de la transition écologique.

1. Fixer des objectifs sur l’empreinte carbone importée
Aujourd’hui absente de la stratégie française, cette dimension doit être intégrée dans la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), avec des cibles chiffrées déclinées par secteur d’ici 2026.
2. Consolider la feuille de route numérique et données
Améliorer la qualité, la cohérence et le suivi des données environnementales est une condition indispensable pour piloter efficacement la transition. Une gouvernance claire doit être définie dès 2025.
3. Renforcer le rôle du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE)
Le SGPE doit retrouver toute sa capacité à impulser et à coordonner les arbitrages interministériels, y compris dans la définition de la stratégie pluriannuelle des financements (SPAFTE).
4. Présenter la SPAFTE en amont du débat budgétaire
La stratégie pluriannuelle des financements doit être transmise chaque année au printemps, avant l’examen de la loi de finances, afin d’orienter les choix d’investissement publics et privés dès la phase préparatoire.
5. Développer une doctrine claire d’utilisation des leviers publics
Construire des scénarios comparés pour hiérarchiser les outils (fiscalité, subventions, réglementation, sobriété), en privilégiant ceux qui offrent le meilleur rapport efficacité/coût pour atteindre les objectifs physiques de la SNBC.
6. Évaluer la capacité financière des ménages
Mesurer l’endettement, le reste à charge et les disparités territoriales afin de répartir plus équitablement l’effort d’investissement et de garantir une transition juste (échéance 2027).
Un cap clair mais exigeant
Ces recommandations traduisent un double impératif :
- efficacité : utiliser les ressources publiques au meilleur coût et maximiser l’effet levier sur l’investissement privé ;
- justice sociale : éviter que la transition écologique n’accentue les inégalités en ciblant mieux les aides et en tenant compte des réalités financières des ménages.
La Cour appelle ainsi à une planification écologique rigoureuse, articulée et équitable, condition indispensable pour concilier trajectoire bas-carbone, préservation de la biodiversité et soutenabilité économique.
Conclusion
Le rapport 2025 de la Cour des comptes confirme une évidence : la transition écologique n’est plus une option, mais une nécessité vitale et économique. Les chiffres sont clairs : le coût de l’inaction serait bien supérieur à celui des investissements nécessaires, avec une perte estimée de 11,4 points de PIB en 2050 pour la France si les politiques actuelles ne sont pas renforcées.
Certes, des progrès ont été réalisés, notamment la baisse de 30 % des émissions de gaz à effet de serre depuis 1990. Mais ces efforts restent insuffisants pour respecter la trajectoire européenne et atteindre la neutralité carbone en 2050. Surtout, des pans entiers de la transition – biodiversité, adaptation, empreinte carbone importée – accusent un retard préoccupant.
Face à ce constat, la Cour trace un cap clair : renforcer la planification écologique, mieux articuler les trajectoires physiques et financières, mobiliser davantage le secteur privé et garantir une transition juste pour les ménages. Avec des besoins chiffrés à 110 milliards d’euros supplémentaires par an d’ici 2030, la question n’est plus de savoir si nous pouvons nous permettre d’investir, mais si nous pouvons nous permettre de ne pas le faire.
La transition écologique est donc autant un défi de gouvernance et de justice sociale qu’un enjeu climatique. Elle suppose une volonté politique forte, une mobilisation collective et un pilotage rigoureux. Bien menée, elle peut devenir un levier de résilience, d’innovation et de prospérité durable. Mal retardée, elle risque au contraire d’aggraver les fractures et de nous exposer à des coûts irréversibles.
Transition écologique : 4 chiffres à retenir
- 🌍 –30 %
Baisse des émissions de GES en France entre 1990 et 2023 - 🎯 –55 % d’ici 2030
Objectif européen de réduction des émissions (Fit for 55) - 💶 110 Md€ par an
Besoins de financements supplémentaires d’ici 2030 - ⚠️ –11,4 points de PIB
Perte pour la France en 2050 en cas d’inaction
Pour aller plus loin :
https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-transition-ecologique