Le numérique responsable s’impose progressivement comme une composante essentielle de la transformation durable des organisations. Longtemps perçu comme un simple supplément éthique, il devient aujourd’hui un levier stratégique, à la croisée des enjeux environnementaux, économiques et sociaux. Pourtant, une question reste centrale pour convaincre les décideurs : quel est le retour sur investissement d’une démarche de numérique responsable ?
C’est précisément à cette interrogation que répond l’étude menée par l’association Boavizta, spécialisée dans l’évaluation de l’impact environnemental du numérique. Fondée sur l’analyse de données concrètes issues d’une quinzaine d’organisations pionnières, cette étude dévoile les leviers d’action, les indicateurs clés, et les gains tangibles associés aux initiatives de sobriété numérique.
Dans cet article, nous explorons les résultats majeurs de ce travail pour aider les entreprises à évaluer et optimiser le retour sur investissement de leur stratégie de numérique responsable. Car au-delà de l’engagement, c’est bien de performance durable qu’il est question.
1. Le numérique responsable, un investissement stratégique encore sous-estimé
Dans un contexte marqué par la multiplication des réglementations environnementales et la pression croissante des parties prenantes, intégrer une stratégie de numérique responsable n’est plus un choix marginal. Pourtant, malgré les bénéfices largement reconnus, l’engagement réel reste encore timide dans de nombreuses organisations.
L’étude de Boavizta révèle une tendance claire : l’allocation budgétaire dédiée au numérique responsable est encore trop souvent marginale. En moyenne, les organisations interrogées mobilisent 1,7 équivalent temps plein (ETP) et investissent environ 120 000 euros supplémentaires dans le cadre de leurs actions NR. Un engagement qui reste modeste, notamment face aux budgets globaux IT, et qui limite de fait le passage à l’échelle.
Cette frilosité s’explique en partie par une inertie budgétaire liée au niveau de maturité des entreprises sur le sujet. Lorsqu’elles amorcent une démarche NR, les investissements sont souvent cantonnés à de petites initiatives : formations, premiers outils d’évaluation, ou projets pilotes isolés. Sans stratégie globale ni indicateurs de performance clairs, il devient difficile de justifier une montée en puissance.
Pourtant, une fois lancées, les démarches NR tendent à démontrer leur pertinence économique. C’est ce paradoxe que met en lumière l’étude :
Les entreprises qui investissent dans des actions ciblées en perçoivent les premiers bénéfices, mais ces résultats restent trop peu mesurés et partagés pour inspirer un mouvement de fond.
2. Quels investissements pour amorcer une stratégie NR efficace ?
L’une des clés pour structurer une démarche de numérique responsable réside dans l’identification des postes d’investissement les plus efficaces. L’étude de Boavizta permet d’observer les choix opérés par une quinzaine d’organisations de tailles et de secteurs variés, et d’en dégager des tendances robustes.

Les investissements se répartissent principalement en quatre catégories : la formation, l’outillage, la labellisation et le conseil.
L’outillage arrive en tête, représentant 60 % des investissements. Il s’agit notamment de calculateurs carbone, d’outils de modélisation de trajectoire ou encore de plateformes centralisant les données environnementales du système d’information.
La formation suit avec 40 %, incluant des fresques de sensibilisation, des MOOCs ou des sessions de coaching ciblées.
Les démarches de labellisation (33 %) sont également privilégiées, tant pour structurer la stratégie NR que pour mobiliser les équipes.
Enfin, 27 % des entreprises ont recours à du conseil pour les accompagner dans leur montée en compétence ou dans la définition de feuilles de route opérationnelles.
Un point essentiel souligné par l’étude est la possible mobilisation de subventions pour ces actions. Les dispositifs de l’ADEME, en particulier, constituent un levier non négligeable pour alléger le coût initial. Les postes les plus souvent éligibles à ces aides sont justement ceux de l’outillage et de la labellisation.
Autre enseignement important : la logique d’investissement n’est pas proportionnelle à la taille des entreprises. Si les grands groupes affichent naturellement des budgets plus élevés, les PME et ETI interrogées investissent de manière proportionnellement plus significative par rapport à leur chiffre d’affaires. Une indication que la volonté stratégique peut compenser une capacité financière moindre, dès lors qu’elle est alignée à une vision de transformation durable.
3. ROI du numérique responsable : quels gains concrets ?
Le retour sur investissement du numérique responsable demeure la principale attente des directions générales et financières. Pourtant, selon l’étude de Boavizta, peu d’organisations mesurent systématiquement les bénéfices générés par leurs actions NR. Ce déficit de pilotage nuit à la montée en puissance de ces démarches, alors même que les gains observés peuvent être significatifs.
Trois types de retours sur investissement se distinguent : financiers, environnementaux et sociaux.
Sur le plan financier, les économies les plus fréquentes concernent la réduction des consommables, la diminution du parc d’équipements et la baisse de la facture énergétique. Ces gains sont souvent récurrents et directement mesurables après mise en œuvre des leviers d’optimisation.
À titre d’exemple, EDF estime à 23 millions d’euros les économies annuelles réalisées grâce à sa stratégie NR. Ce résultat repose notamment sur la réduction des impressions, l’allongement de la durée de vie des équipements informatiques et l’optimisation de la consommation énergétique des serveurs. Ces actions ont également permis d’éviter l’émission de 11 000 tonnes de CO₂ par an.
Ubisoft, de son côté, a mis en place une solution de gestion énergétique des postes de travail baptisée Power Plug. Déployée sur 12 000 équipements, elle génère une économie annuelle de 775 000 euros et permet d’éviter 2 000 tonnes de CO₂. L’objectif est d’atteindre rapidement les 18 000 postes concernés.
Les retours sociaux, plus difficilement quantifiables, se traduisent par une amélioration de l’attractivité employeur, une fierté accrue des collaborateurs et un meilleur alignement des pratiques internes avec les valeurs RSE de l’organisation.
Certaines entreprises, comme ARCESI, en tirent également un avantage concurrentiel, en remportant des marchés grâce à leur engagement en matière d’accessibilité numérique ou d’éco-conception.
Malgré ces résultats, l’étude souligne un paradoxe :
Les initiatives NR sont rarement priorisées sur la base d’un ROI estimé. En modélisant plus systématiquement les gains attendus dès le cadrage, il serait possible de mieux convaincre les décideurs et d’accélérer la généralisation de ces pratiques.
4. Les indicateurs clés à suivre pour piloter la performance NR
Pour crédibiliser et structurer une démarche de numérique responsable, le suivi d’indicateurs pertinents est essentiel. L’étude de Boavizta recense une large palette d’indicateurs techniques, opérationnels et stratégiques permettant de mesurer l’impact et le retour sur investissement des actions engagées.
Trois axes principaux dominent : le climat, l’énergie et les déchets. Sur le plan climatique, les indicateurs les plus utilisés sont l’empreinte carbone globale du numérique, les émissions par collaborateur, les bilans carbone annuels et les émissions évitées. Ces données sont indispensables pour estimer la contribution de l’organisation à la réduction de son impact environnemental.
Concernant l’énergie, la consommation en MWh fait l’objet d’un suivi régulier, notamment dans les data centers via des indicateurs comme le PUE (Power Usage Effectiveness). Pour les déchets, les quantités de D3E produites et recyclées sont les principales métriques mobilisées.
L’étude souligne également l’émergence d’indicateurs plus spécifiques, en lien avec la gouvernance ou les ressources humaines : nombre de projets intégrant une démarche NR, pourcentage de collaborateurs formés, taux de filiales labellisées, ou encore intégration de critères environnementaux dans les appels d’offres. Certaines entreprises vont jusqu’à inclure des objectifs NR dans les contrats d’intéressement.
Par ailleurs, des indicateurs techniques détaillés sont mis en place autour du système d’information : durée de vie des équipements, pourcentage de matériel reconditionné, taux de recyclage, empreinte des infrastructures cloud, nombre d’impressions, équipements “dormants”, ou encore empreinte des applications via des éco-scores.

Un constat s’impose cependant :
La majorité des organisations se concentrent encore sur des indicateurs de moyens ou de suivi opérationnel, et très peu disposent d’une trajectoire bas carbone formalisée ou d’indicateurs de résultats consolidés. Ce manque freine l’objectivation des impacts et complique la démonstration de valeur.
Pour accompagner les entreprises dans cette démarche, Boavizta met à disposition une base ouverte d’indicateurs du numérique responsable, accessible sur son site. Elle constitue une ressource clé pour structurer un pilotage rigoureux et crédible des initiatives NR.
5. Bonnes pratiques pour maximiser son ROI NR
Face à la nécessité de rendre le numérique plus sobre, certaines organisations se démarquent en intégrant le numérique responsable de manière stratégique et opérationnelle. L’étude de Boavizta met en lumière plusieurs bonnes pratiques adoptées par les entreprises les plus avancées, susceptibles d’inspirer celles qui amorcent leur transition.

Première recommandation : impliquer les directions financières dès le cadrage des projets. Cette collaboration permet d’estimer le retour sur investissement prévisionnel et de définir des indicateurs adaptés, facilitant le suivi et la justification budgétaire. Une telle approche renforce la légitimité des démarches NR auprès des décideurs.
Deuxième levier : mutualiser les efforts entre départements. Le budget du numérique responsable ne doit pas reposer uniquement sur la DSI. Des synergies peuvent être créées avec les directions RH, achats, communication ou encore RSE. C’est le cas, par exemple, de la RTBF, qui partage les coûts NR entre plusieurs services.
Troisièmement, structurer une dynamique collective autour du NR. De nombreuses organisations ayant peu de moyens initiaux réussissent à initier un changement culturel par la mise en place de réseaux d’ambassadeurs, de référents internes ou de communautés de pratique. Ces démarches participatives permettent de sensibiliser largement sans exiger un budget conséquent.
Par ailleurs, certaines entreprises vont plus loin en intégrant le numérique responsable dans les mécanismes d’intéressement, afin d’ancrer les nouveaux usages dans les pratiques quotidiennes. D’autres valorisent les critères environnementaux dans les appels d’offres, avec des pondérations équivalentes au critère prix, instaurant ainsi une exigence durable dans la relation fournisseurs.
Enfin, pour gagner en efficacité et en reconnaissance, plusieurs organisations s’engagent dans des démarches de labellisation ou d’évaluation externe, comme le label ISIT ou les référentiels GreenIT. Ces cadres offrent une structure, une visibilité et un outil de mobilisation interne puissant.
Ces différentes approches convergent vers un même constat :
Maximiser le ROI du numérique responsable passe par une stratégie claire, des outils de pilotage adaptés, et une forte implication humaine. Ce sont ces conditions qui permettent de transformer une intention durable en véritable levier de performance globale.
Le ROI, catalyseur d’un numérique responsable à grande échelle
Le numérique responsable ne se résume plus à une exigence éthique ou réglementaire. Il devient progressivement un véritable levier de performance, à condition d’en structurer les fondements économiques. L’étude de Boavizta le montre clairement : les organisations qui investissent, même modestement, dans des démarches ciblées et mesurées en perçoivent les bénéfices tant financiers qu’environnementaux.
Mais pour que le numérique responsable franchisse un cap, il doit sortir de l’angle mort budgétaire dans lequel il reste trop souvent cantonné. Cela suppose d’intégrer systématiquement la logique de retour sur investissement dès le cadrage des projets, de mobiliser des indicateurs solides, et de s’appuyer sur les leviers disponibles comme les subventions ou les approches collectives.
L’évolution vers un numérique plus sobre, plus durable et plus performant est déjà en cours. Elle ne dépend plus de la faisabilité technique, mais de la volonté organisationnelle. Le ROI, souvent ignoré, peut devenir le catalyseur de cette transformation : une clé pour convaincre, aligner et passer à l’échelle.
Pour les entreprises souhaitant s’engager ou accélérer, il est temps de passer de la sensibilisation à la structuration, et de l’intuition à la preuve. Car le numérique responsable, bien conçu et bien piloté, n’est pas un coût : c’est un investissement stratégique.
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