Face à l’urgence climatique, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à s’engager dans des démarches environnementales. Si la réduction des émissions reste une priorité, beaucoup cherchent aussi à financer des projets à impact au-delà de leur propre chaîne de valeur. C’est dans ce contexte que naît un nouveau concept : la philanthropie climatique.
Imaginée par l’ONG Planète Urgence, cette approche propose une alternative aux traditionnels crédits carbone, souvent critiqués pour leur opacité et leur complexité. Ici, pas de compensation mais une contribution directe, transparente et mesurable à des projets concrets, notamment dans la reforestation. L’enjeu ? Permettre aux entreprises de soutenir la transition écologique tout en renforçant leur crédibilité, sans tomber dans le greenwashing.
Dans cet article, nous explorons ce nouveau levier d’action : en quoi consiste réellement la philanthropie climatique ? Quels avantages pour les entreprises ? Et pourquoi pourrait-elle bien redessiner les contours de la contribution climatique d’entreprise ?
Qu’est-ce que la philanthropie climatique ?
La philanthropie climatique est un mécanisme de financement innovant, développé par l’ONG Planète Urgence, qui permet aux entreprises de soutenir des projets à fort impact environnemental sans recourir aux crédits carbone. Il s’agit d’un modèle basé sur le mécénat – donc éligible à la défiscalisation – et non sur un système d’échange de certificats de compensation. Son objectif : financer des projets climatiques rigoureusement mesurés, tout en restant en dehors des logiques de propriété et de marché.
À la différence des crédits carbone, qui permettent aux entreprises d’acheter des certificats pour compenser leurs émissions, la philanthropie climatique repose sur une contribution volontaire à des projets hors de leur chaîne de valeur. Cette approche ne permet pas de revendiquer la « neutralité carbone », une notion désormais décriée par l’ADEME comme scientifiquement infondée à l’échelle d’une entreprise. Elle invite au contraire à renforcer l’action climatique de manière honnête et structurée, sans minimiser la nécessité de réduire en priorité ses propres émissions.
Ce modèle repose sur une méthodologie scientifique rigoureuse, validée par un collège d’experts (ADEME, CIRAD, Hamerkop, etc.). Il permet un suivi des impacts sur dix ans, intégrant non seulement la séquestration carbone, mais aussi des effets sur la biodiversité, le développement local et la résilience des écosystèmes. L’approche se veut ouverte : les ONG peuvent accéder librement à la méthode sous licence, afin de la répliquer à plus grande échelle.
En somme, la philanthropie climatique s’impose comme une réponse crédible et transparente aux attentes des entreprises soucieuses de leur impact, désireuses de contribuer autrement – et plus durablement – à la lutte contre le dérèglement climatique.
Pourquoi les crédits carbone ne suffisent plus
Longtemps présentés comme la solution de référence pour compenser les émissions de gaz à effet de serre, les crédits carbone sont aujourd’hui de plus en plus contestés. Si leur principe – financer des projets réduisant ou séquestrant des émissions ailleurs – paraît attractif, leur mise en œuvre révèle des limites majeures, tant sur le plan méthodologique que sur celui de la crédibilité.
D’abord, leur complexité technique rend leur accès difficile, notamment pour les petites structures ou les ONG locales. L’achat de crédits carbone implique souvent des intermédiaires, des frais administratifs élevés et des exigences de certification lourdes. Ces freins limitent la part du financement qui parvient réellement aux porteurs de projets sur le terrain.
Ensuite, les controverses médiatiques autour de projets jugés peu transparents ou d’impact discutable ont terni la réputation du marché. Accusations de double comptage, absence d’additionnalité, surévaluation des bénéfices carbone… Autant de critiques qui alimentent une méfiance croissante des entreprises, soucieuses d’éviter toute accusation de greenwashing.
Enfin, les crédits carbone maintiennent une logique de compensation qui peut induire un dangereux effet de déresponsabilisation. En laissant croire qu’il suffit de financer un projet à l’autre bout du monde pour « annuler » ses émissions, ils peuvent retarder les efforts de transformation en profondeur des modèles économiques.
La philanthropie climatique se positionne alors comme une alternative éthique et pragmatique, en rupture avec cette logique. Elle recentre l’action sur la contribution volontaire à des projets d’intérêt général, sans revendication de neutralité ni de propriété sur les impacts. C’est un changement de paradigme : on ne compense plus, on agit, en toute transparence, pour renforcer les puits de carbone, restaurer les écosystèmes et soutenir des communautés locales.
Les avantages stratégiques de la philanthropie climatique
Adopter la philanthropie climatique, c’est bien plus qu’un geste environnemental : c’est aussi un choix stratégique pour les entreprises désireuses d’allier impact, transparence et cohérence. Ce mécanisme offre plusieurs avantages différenciants, à la fois sur le plan opérationnel, réglementaire et réputationnel.

1. Un impact direct et mesurable
Contrairement aux systèmes traditionnels, la philanthropie climatique permet une relation directe entre l’entreprise et le projet soutenu, sans passer par des plateformes intermédiaires. Les fonds sont mobilisés pour des actions concrètes de terrain – souvent en reforestation – avec un suivi structuré sur 10 ans. Ce reporting longitudinal garantit une traçabilité de l’impact environnemental, climatique et socio-économique.
2. Une méthodologie crédible et reconnue
Développée avec des institutions expertes comme l’ADEME, CIRAD ou SWEEP, la méthodologie repose sur des fondements scientifiques robustes. Elle est auditée par des tiers indépendants, ce qui en renforce la fiabilité. L’évaluation intègre les impacts carbone (en TeqCO₂), mais aussi la biodiversité et les effets sociaux locaux.
3. Une réponse au greenwashing
La philanthropie climatique ne génère pas de crédits revendicables. En cela, elle évite tout usage trompeur ou réducteur de la notion de neutralité carbone. L’entreprise ne peut pas se targuer de « compenser », mais elle peut démontrer une contribution réelle, alignée avec les principes de la Science-Based Target Initiative (SBTi) ou de la Net Zéro Initiative (NZI).
4. Une communication engageante
En s’engageant dans la philanthropie climatique, une entreprise crée un nouveau récit de marque : elle s’implique dans des projets durables, solidaires, et porteurs de sens. Cette narration différenciante est un levier puissant pour mobiliser les parties prenantes internes (collaborateurs) comme externes (clients, partenaires, investisseurs).
5. Une intégration dans les cadres de référence
Ce modèle est compatible avec les principaux cadres de reporting extra-financier : CSRD, CDP, BCorp… Il permet ainsi à l’entreprise de valoriser sa contribution dans sa stratégie climat, tout en respectant les standards européens de transparence et d’ambition climatique.
En résumé, la philanthropie climatique se présente comme un outil de différenciation stratégique pour les entreprises souhaitant renforcer leur impact environnemental tout en construisant une réputation de cohérence, d’intégrité et d’engagement.
IV. Intégration concrète dans les stratégies climat des entreprises
La philanthropie climatique s’inscrit dans une logique d’action complémentaire à la réduction des émissions. Elle permet aux entreprises d’aller au-delà de leurs obligations réglementaires et de renforcer leur contribution aux objectifs climatiques globaux. L’exemple de Davidson Consulting illustre de manière exemplaire comment ce modèle peut s’ancrer dans une stratégie climat structurée.
1. Trois approches pour dimensionner sa contribution
Planète Urgence propose aux entreprises de choisir parmi trois approches de contribution :
- Ton-for-ton : contribution proportionnelle aux émissions de l’entreprise.
- Money-for-money : contribution fixe sur la base d’un pourcentage du chiffre d’affaires ou des bénéfices, comme le fait Davidson avec un engagement de 1 à 4 pour 1000 de son chiffre d’affaires.
- Money-for-ton : contribution basée sur un prix interne du carbone, définissant une équivalence financière par tonne émise.
Ces méthodes ne visent pas la compensation, mais l’engagement responsable, en tenant compte à la fois de l’impact historique et des capacités économiques de l’entreprise.
2. Le cas Davidson : une mise en œuvre concrète et structurée

Engagé dans une trajectoire SBTi de réduction, Davidson a intégré la philanthropie climatique comme levier de contribution supplémentaire. L’entreprise a financé, entre 2021 et 2024, 3,2 millions d’euros pour soutenir des projets de reforestation et restauration de mangroves sur 1300 hectares à Madagascar, en Indonésie et en France. L’impact estimé atteint 55 000 tonnes de CO₂ séquestrées sur 10 ans, avec des retombées sociales et écologiques fortes : pépiniéristes formés, aires protégées communautaires, sensibilisation de 10 000 élèves…
L’entreprise a intégré ces données dans ses rapports RSE, CSRD et certifications BCorp, Ecovadis, illustrant une stratégie transparente et alignée.
3. Une démarche participative et valorisante
La philanthropie climatique permet aussi de mobiliser les collaborateurs. Chez Davidson, cette action est devenue un facteur de fierté collective et un argument fort pour la marque employeur. La communication autour des projets renforce l’engagement interne tout en apportant un récit cohérent et vérifiable aux parties prenantes externes.
4. Conditions de réussite
La réussite repose sur plusieurs leviers : un engagement fort de la direction, une personne référente en interne, une coopération étroite avec les ONG partenaires et un pilotage structuré (comité de suivi, certificats d’impact, etc.).
En somme, la philanthropie climatique peut s’intégrer naturellement dans toute stratégie climat ambitieuse. À condition d’être portée avec rigueur et conviction, elle devient un outil puissant de cohérence, d’impact et de différenciation durable.
V. Une démarche ouverte et reproductible
Au-delà de son rôle de levier pour les entreprises, la philanthropie climatique se présente aussi comme un mouvement collectif. Conçue pour être diffusée largement, cette initiative portée par Planète Urgence repose sur une volonté forte de mutualisation, d’inclusivité et de transparence. Elle se distingue ainsi par sa capacité à être reproduite et adaptée par d’autres organisations à but non lucratif.
1. Une méthodologie accessible en open source
L’une des forces de la philanthropie climatique est sa méthodologie de mesure carbone (MCPR), mise à disposition des ONG sous forme de licence gratuite. Chaque organisation qui souhaite l’utiliser s’engage à respecter l’intégralité de la méthode et son esprit. Cette approche permet de garantir la rigueur scientifique tout en facilitant l’adoption par un plus grand nombre d’acteurs, souvent exclus du marché du carbone pour des raisons financières ou techniques.
2. Accompagnement et montée en compétences des ONG
Planète Urgence ne se limite pas à proposer un cadre méthodologique : elle accompagne également les ONG dans la montée en compétences via des formations, outils techniques et soutien à la structuration de projet. Cela permet d’assurer une application homogène et fiable, tout en favorisant l’autonomie des porteurs de projets.
3. Vers une diversification des projets climatiques
Initialement centrée sur des initiatives de reforestation (agroforesterie, mangrove, bois-énergie), la démarche ambitionne de s’ouvrir à d’autres typologies de projets climatiques. Biodiversité, adaptation, résilience… autant de champs d’action que la philanthropie climatique pourrait structurer à terme, toujours dans une logique de contribution volontaire et mesurable.
4. Un appel à rejoindre un mouvement global
Cette dynamique ouverte constitue un véritable appel à mobilisation. Entreprises, ONG, collectivités, citoyens : chacun peut, à son échelle, s’engager dans une logique de soutien durable, traçable et sans contrepartie marchande. En rejoignant le mouvement, les parties prenantes participent à changer la norme du financement climatique, en mettant en avant la contribution plutôt que la compensation.
En somme, la philanthropie climatique ne se contente pas de répondre aux limites d’un système existant. Elle en propose un nouveau modèle, fondé sur la coopération, l’impact réel et la transparence – une approche capable de transformer durablement notre rapport au financement de la transition écologique.
Vers une contribution climatique responsable et transformative
La philanthropie climatique s’impose comme une alternative crédible et éthique au marché du carbone, en phase avec les attentes croissantes en matière de transparence, d’impact mesurable et d’intégrité. En plaçant la contribution volontaire au cœur de la stratégie climatique des entreprises, elle permet de dépasser les limites du modèle de compensation, tout en renforçant l’engagement des parties prenantes.
À travers des exemples concrets comme celui de Davidson Consulting, on constate que cette approche est opérationnelle, reproductible et valorisable. Elle incarne une nouvelle voie pour les entreprises souhaitant conjuguer performance, responsabilité et utilité sociétale.
Plus qu’un outil, la philanthropie climatique est une invitation à repenser notre manière d’agir pour le climat. Elle trace le chemin d’un financement plus juste, plus inclusif et durable. Rejoindre ce mouvement, c’est choisir une trajectoire de transition alignée avec les grands enjeux de notre époque – une démarche à la fois pragmatique et profondément engagée.
Pour en savoir plus : https://planete-urgence.org/la-philanthropie-climatique/