Cette note rassemble les principales idées issues d’une discussions collective organisée récemment par l’ADEME dans le cadre de l’appel à commun et porte sur la création, la gestion et la pérennisation des communs. Elle vise à rendre accessibles les clés de compréhension qui ont été partagés dans les ateliers auxquels j’ai participé.

1. Les intentions : une boussole, pas un contrat
Clarifier les intentions est essentiel pour ouvrir un commun, mais l’objectif n’est pas d’imposer une vision figée.
Les intentions servent à :
- exprimer la raison d’être,
- clarifier l’ouverture aux parties prenantes,
- rendre possible un lâcher-prise futur,
- éviter l’appropriation involontaire du commun.
Une intention bien formulée est une invitation à contribuer, pas une règle.
Elle montre où le commun souhaite aller, sans enfermer la communauté dans un cadre trop prescriptif.
2. La gouvernance d’un commun repose sur l’usage, pas sur la théorie
Un commun n’est pas un statut, ni un mot magique :
c’est une pratique collective, construite par celles et ceux qui utilisent la ressource, en prennent soin et y contribuent.
Les éléments clés d’une gouvernance qui fonctionne sont :
- des espaces d’échange vivants,
- un pilotage distribué,
- des rôles flexibles qui peuvent circuler,
- la reconnaissance de l’expertise d’usage (ce sont souvent les usagers qui savent le mieux ce qui doit évoluer).
La question “sommes-nous un commun ?” importe moins que la question “prenons-nous soin de quelque chose ensemble ?”.
3. Le partage du pouvoir : un équilibre entre rôles explicites et décisions distribuées
Construire un commun implique d’apprendre à :
- partager la responsabilité,
- accepter que certains rôles nécessitent plus d’engagement (ex. coordination, animation, gestion de la relation financeurs),
- permettre aux mandats de circuler dans le temps,
- maintenir un climat de confiance, notamment en clarifiant qui décide quoi.
Une gouvernance efficace n’est pas forcément horizontale à 100 %.
Elle repose sur :
- des mandats clairs,
- une transparence sur ce qui est décidé,
- la possibilité pour chacun de contribuer à son niveau.
4. La tension structurelle : “mode projet” vs “mode commun”
C’est l’un des enseignements les plus importants.
Le mode projet repose sur :
- des objectifs définis à l’avance,
- des livrables,
- des échéances,
- des financeurs qui demandent visibilité et résultats.
Le mode commun, lui, repose sur :
- le soin,
- l’adaptation progressive,
- les besoins réels,
- la contribution libre,
- l’émergence.
Ces deux logiques entrent inévitablement en tension.
On observe que :
- le mode projet peut rigidifier la communauté,
- la prévision à l’avance est souvent incompatible avec la dynamique communautaire,
- les financeurs veulent des feuilles de route, alors qu’un commun se construit dans l’incertitude et le réel.
Beaucoup de porteurs deviennent ainsi des “double agents” :
ils traduisent les attentes des financeurs en langage “projet” tout en préservant, dans la communauté, un espace d’action libre et non prescriptif.
5. La question des moyens : un angle mort des communs
Un constat partagé :
il est très difficile de financer la maintenance, l’animation et la coordination d’un commun.
Les financeurs financent surtout :
- l’innovation,
- la création,
- les prototypes,
- les nouvelles fonctionnalités.
Très rarement :
- la maintenance,
- l’animation,
- la consolidation.
C’est pourtant cette phase qui assure la survie du commun.
Les solutions évoquées :
- budgets contributifs,
- mutualisation entre acteurs,
- financements hybrides,
- reconnaissance de la valeur de l’usage (et pas seulement de l’innovation),
- diversification des sources (collectivités, fondations, entreprises utilisatrices…).
6. Les dynamiques communautaires : désirables mais fragiles
La vitalité d’un commun dépend :
- d’un cœur de communauté actif,
- d’une diversité de contributions,
- de la possibilité pour les nouveaux arrivants de trouver facilement leur place,
- d’une animation régulière (webinaires, échanges pair-à-pair, groupes thématiques).
Les risques identifiés :
- surcharge des personnes les plus engagées,
- désengagement si les responsabilités deviennent trop lourdes,
- dépendance à un ou deux individus,
- dilution de la responsabilité (si “tout le monde décide”, personne ne s’engage vraiment).
7. Ce qui fait un commun durable
Les échanges ont permis de dégager plusieurs principes pour qu’un commun se développe dans la durée :
1. Une intention ouverte, évolutive et partagée.
Ni trop floue, ni trop prescriptive.
2. Une gouvernance vivante.
Mandats clairs, circulation des rôles, espaces d’échange permanents.
3. Une articulation intelligente entre projet et commun.
Accepter que les deux logiques coexistent, tout en protégeant la dynamique communautaire.
4. Une communauté active, reconnue, outillée.
Participer doit être simple, légitime et gratifiant.
5. Des ressources pérennes.
Maintenance, animation, coordination : des fonctions vitales, pas “optionnelles”.
En bref
La réunion a montré qu’un commun n’est jamais “donné” : il se construit, se négocie, se réinvente en permanence.
Les principaux défis sont toujours relationnels, culturels et organisationnels — rarement techniques.
Mais les bénéfices sont considérables :
plus de résilience, plus de capacités d’apprentissage, des ressources mieux partagées, et une gouvernance qui reflète réellement la diversité des acteurs.

