Le paysage du reporting extra-financier en Europe a connu ces dernières années une transformation majeure. La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), adoptée en 2022, avait pour ambition de renforcer la transparence et l’obligation des entreprises à rendre compte de leur impact environnemental, social et de gouvernance (ESG). Conçue comme une réponse aux limites de la Non-Financial Reporting Directive (NFRD), elle devait marquer une avancée vers une économie plus responsable et alignée sur les objectifs du Green Deal européen.
Mais alors que l’Europe semblait s’imposer comme leader du reporting ESG, un revirement inattendu a bouleversé cette dynamique : le récent assouplissement des exigences de la CSRD a réduit de près de 80 % le nombre d’entreprises concernées. Ce recul soulève de nombreuses questions : quelles sont les motivations de l’Union européenne derrière ces ajustements ? Quels impacts pour les entreprises et les parties prenantes ? Et surtout, la CSRD, dans sa nouvelle version, permettra-t-elle encore d’accélérer la transition écologique et la compétitivité durable des entreprises européennes ?
Dans cet article, nous retracerons l’évolution de la CSRD, de ses ambitions initiales à ses révisions récentes. Nous analyserons les modifications majeures introduites par le paquet Omnibus, leurs implications pour les entreprises et les perspectives d’avenir du reporting ESG en Europe.
Contexte historique et émergence de la CSRD
1. Les origines du reporting extra-financier : la NFRD et ses limites
Avant l’adoption de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), l’Union européenne avait déjà instauré des obligations en matière de reporting extra-financier à travers la Non-Financial Reporting Directive (NFRD), adoptée en 2014 et entrée en vigueur en 2018. Cette directive imposait aux grandes entreprises cotées, aux banques et aux compagnies d’assurance (soit environ 11 700 entreprises européennes) de publier des informations sur leur impact environnemental, social et en matière de gouvernance (ESG).
Toutefois, la NFRD a rapidement montré ses limites :
- Un manque d’harmonisation : les entreprises bénéficiaient d’une trop grande liberté dans la manière dont elles présentaient leurs données ESG, rendant les comparaisons difficiles.
- Des exigences floues : l’absence de standards précis entraînait une hétérogénéité des rapports, limitant leur utilité pour les investisseurs et parties prenantes.
- Un champ d’application restreint : seules les grandes entreprises cotées étaient concernées, excluant de fait une grande partie des acteurs économiques ayant un impact significatif.
- Un manque de contrôle et de fiabilité : les rapports extra-financiers n’étaient pas soumis aux mêmes exigences de vérification que les rapports financiers.
Face à ces critiques, il est rapidement apparu nécessaire de renforcer et clarifier le cadre réglementaire du reporting extra-financier afin de le rendre plus efficace et exploitable.
2. La naissance de la CSRD : un cadre ambitieux pour la durabilité et la compétitivité
Pour répondre aux lacunes de la NFRD, la Commission européenne a proposé en avril 2021 une révision ambitieuse de la directive, qui deviendra la CSRD. Son objectif était clair : renforcer la transparence des entreprises sur leurs impacts environnementaux et sociaux tout en garantissant une comparabilité accrue des données ESG à l’échelle européenne.
La CSRD s’inscrivait dans le cadre du Green Deal européen, visant à faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone d’ici 2050. Elle faisait également écho à la stratégie de l’UE en matière de finance durable, destinée à orienter les investissements vers des activités respectueuses de l’environnement.
- Les principales ambitions de la CSRD à son lancement étaient :
- Élargir le périmètre des entreprises concernées : la directive devait s’appliquer à près de 50 000 entreprises en incluant les grandes entreprises non cotées et les PME cotées, couvrant ainsi une part bien plus significative de l’économie européenne.
- Standardiser les exigences de reporting : en introduisant les ESRS (European Sustainability Reporting Standards), élaborés par l’EFRAG, pour un cadre commun et rigoureux.
- Renforcer la fiabilité des informations : en imposant une vérification indépendante des rapports ESG pour garantir leur crédibilité.
- Introduire le principe de « double matérialité » : obligeant les entreprises à déclarer à la fois l’impact des facteurs ESG sur leur performance financière (matérialité financière) et leur propre impact sur l’environnement et la société (matérialité d’impact).
Cette réforme devait ainsi donner aux investisseurs et aux parties prenantes des informations plus claires, précises et comparables pour orienter les flux financiers vers une économie plus durable.
3. Premiers enjeux soulevés : attentes et réactions des parties prenantes
Dès son annonce, la CSRD a suscité de nombreuses attentes et réactions contrastées parmi les entreprises, investisseurs et autres parties prenantes :
Les investisseurs institutionnels et les régulateurs ont largement soutenu cette réforme, la considérant comme un outil clé pour réduire le greenwashing et mieux évaluer les risques ESG. Ils ont salué l’introduction de la double matérialité et des ESRS, qui devaient apporter une meilleure transparence et comparabilité des données.
Les grandes entreprises ont exprimé des avis partagés :
- Certaines ont vu la CSRD comme une opportunité stratégique pour structurer leurs engagements RSE et se différencier sur les marchés internationaux.
- D’autres ont redouté une augmentation des coûts et des obligations administratives, notamment en raison de la complexité des nouveaux standards et de la nécessité d’investir dans des systèmes de reporting plus performants.
Les PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI) ont quant à elles exprimé des inquiétudes quant à leur capacité à se conformer aux nouvelles exigences, en raison du manque de ressources et d’expertise sur ces sujets.
Ces débats ont rapidement mis en lumière le défi d’équilibre entre ambition et pragmatisme :
- Comment imposer des normes exigeantes tout en évitant une surcharge administrative pour les entreprises ?
- Comment s’assurer que la CSRD renforce la compétitivité européenne et ne pousse pas les investissements hors de l’UE ?
- Quel rôle accorder aux acteurs financiers et aux institutions européennes dans la mise en œuvre de cette directive ?
Face à ces enjeux, l’évolution de la CSRD ne faisait que commencer. Ce qui devait être une avancée majeure vers un reporting ESG robuste allait finalement subir d’importants ajustements au fil du temps…
Les grandes étapes de l’évolution de la CSRD

Étape 1 : De la NFRD à la CSRD
La Non-Financial Reporting Directive (NFRD), adoptée en 2014, imposait aux grandes entreprises européennes de publier des informations sur leur performance en matière de durabilité. Cependant, cette directive a été critiquée pour son champ d’application limité et le manque de standardisation des rapports. Pour remédier à ces lacunes, l’Union européenne a proposé en avril 2021 la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), visant à élargir le périmètre des entreprises concernées et à harmoniser les normes de reporting. Initialement, la CSRD devait s’appliquer à environ 50 000 entreprises, y compris les grandes entreprises cotées et non cotées, ainsi que les PME cotées.
Étape 2 : Premières mises en œuvre et retours du terrain
Après l’adoption de la CSRD en 2022, les entreprises ont commencé à s’adapter aux nouvelles exigences. Les premières réactions ont mis en évidence des défis liés à la complexité des normes et aux ressources nécessaires pour se conformer aux obligations de reporting. Les dirigeants ont exprimé des préoccupations concernant la charge administrative accrue et les coûts associés, en particulier pour les PME. Cependant, certains ont également reconnu l’opportunité d’améliorer la transparence et de renforcer la confiance des investisseurs grâce à des rapports plus détaillés sur les performances ESG.
Étape 3 : Introduction du paquet Omnibus et ses implications
En réponse aux préoccupations des entreprises et pour renforcer la compétitivité européenne, la Commission européenne a proposé le paquet Omnibus en février 2025. Ce paquet vise à simplifier les obligations de reporting et à réduire la charge administrative. Les principales modifications incluent :
- Réduction du nombre d’entreprises concernées : Seules les entreprises comptant plus de 1 000 employés sont désormais tenues de se conformer à la CSRD, excluant ainsi environ 80 % des entreprises initialement visées.
- Ajustement des critères d’éligibilité : Les PME ont la possibilité de refuser de fournir des données pour le reporting des grandes entreprises, limitant ainsi leur charge de travail.
- Modification des délais de reporting : Le début des obligations liées à la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD) est reporté à mi-2028, offrant aux entreprises un délai supplémentaire pour se préparer.
- Révision des normes européennes de reporting (ESRS) : Les normes ont été simplifiées pour faciliter la conformité des entreprises, tout en maintenant l’objectif de transparence et de durabilité.
Malgré ces ajustements, le principe de double matérialité reste central dans la CSRD, exigeant des entreprises qu’elles évaluent à la fois l’impact des facteurs ESG sur leur performance financière et leur propre impact sur l’environnement et la société. Ce principe continue de poser des défis en termes de mise en œuvre, nécessitant des méthodologies robustes pour une évaluation précise.
Ces évolutions reflètent la volonté de l’Union européenne de trouver un équilibre entre la promotion de la durabilité et le soutien à la compétitivité des entreprises européennes sur la scène mondiale.
Les modifications clés du nouveau cadre CSRD
En réponse aux préoccupations concernant la compétitivité des entreprises européennes et la complexité des obligations de reporting, la Commission européenne a proposé, le 26 février 2025, un ensemble de réformes connu sous le nom de paquet Omnibus. Ces réformes visent à simplifier le cadre réglementaire de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). Voici les principales modifications apportées :
1. Réduction du périmètre d’application
Initialement, la CSRD devait s’appliquer à environ 50 000 entreprises, incluant les grandes entreprises cotées et non cotées, ainsi que les PME cotées. Cependant, avec les récentes modifications, seules les entreprises comptant plus de 1 000 employés seront désormais tenues de se conformer aux obligations de la CSRD et aux standards de la taxonomie européenne. Cette révision réduit le nombre d’entreprises concernées à environ 7 000 à 10 000, soit une diminution de près de 80 %.
2. Allégement et simplification des obligations de reporting
Pour les petites et moyennes entreprises (PME), le paquet Omnibus introduit un cadre volontaire de reporting. Les PME auront désormais la possibilité de refuser de fournir des données pour le reporting des grandes entreprises, limitant ainsi leur charge administrative. De plus, l’utilisation du standard VSME (Voluntary Standard for Micro Enterprises) est encouragée pour restreindre la demande d’informations ESG aux seules données essentielles.
3. Nouveaux délais et calendrier de mise en œuvre
Les réformes apportent également des ajustements aux échéances de mise en conformité. Notamment, le début des obligations liées à la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD) est reporté à mi-2028, offrant aux entreprises un délai supplémentaire pour se préparer aux nouvelles exigences.
4. Révision des normes et des critères
Les European Sustainability Reporting Standards (ESRS) ont été révisés pour simplifier les obligations de reporting. Les normes sectorielles spécifiques ont été supprimées, et le niveau d’assurance requis pour les rapports de durabilité est passé d’une assurance limitée à une assurance de bonne foi ou raisonnable. Ces modifications visent à réduire la complexité et les coûts associés au reporting, tout en maintenant un niveau adéquat de transparence et de fiabilité des informations divulguées.
Ces ajustements reflètent la volonté de l’Union européenne de trouver un équilibre entre la promotion de la durabilité et le soutien à la compétitivité des entreprises européennes sur la scène mondiale.
Impacts et enjeux pour les entreprises et les parties prenantes
Les récentes modifications apportées à la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), notamment via le paquet Omnibus proposé le 26 février 2025, ont des répercussions significatives sur les entreprises et les parties prenantes.
Pour les grandes entreprises :
- Réduction de la charge administrative et des coûts : En limitant l’obligation de reporting aux entreprises de plus de 1 000 employés, la Commission européenne estime que ces mesures permettront aux entreprises européennes d’économiser environ 6,3 milliards d’euros.
Pour les PME et les acteurs en aval de la chaîne de valeur :
- Protection contre des demandes d’informations excessives : Les PME ont désormais la possibilité de refuser de fournir des données pour le reporting des grandes entreprises, limitant ainsi leur charge administrative.
Réactions des acteurs économiques et des experts :
- Équilibre entre compétitivité et ambition écologique : Les révisions de la CSRD ont suscité des débats parmi les États membres de l’UE. Certains pays, comme l’Allemagne et la France, plaident pour un report des obligations, tandis que l’Italie et l’Espagne insistent sur l’importance de maintenir des normes élevées pour ne pas compromettre les objectifs écologiques.
- Critiques des groupes environnementaux : Les assouplissements proposés sont perçus par certains comme un recul dans les engagements de durabilité de l’UE, potentiellement préjudiciables aux progrès en matière de transparence et de responsabilité environnementale.
Conséquences stratégiques :
- La CSRD comme levier pour une transition durable : Malgré les simplifications, la CSRD conserve son rôle central en encourageant les entreprises à intégrer les considérations ESG dans leur stratégie. Cette directive harmonise les pratiques de reporting, facilitant ainsi la comparaison et l’évaluation des performances durables des entreprises européennes.
En conclusion, les ajustements de la CSRD reflètent une volonté de concilier compétitivité économique et ambition écologique. Les entreprises sont encouragées à voir ces changements non seulement comme une réduction de la charge administrative, mais aussi comme une opportunité stratégique pour renforcer leur engagement envers une économie durable.
Perspectives d’avenir et enjeux stratégiques
Les récentes modifications apportées à la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), notamment via le paquet Omnibus proposé le 26 février 2025, ont suscité des débats quant à l’avenir du reporting ESG en Europe. Ces ajustements visent à alléger les obligations des entreprises pour renforcer leur compétitivité mondiale, tout en maintenant les objectifs de durabilité. Cette section explore les évolutions futures du reporting ESG, l’intégration de ces obligations dans la stratégie globale des entreprises, et les synergies avec d’autres initiatives européennes.
Évolution future du reporting ESG
L’Union européenne prévoit de rationaliser les obligations de reporting ESG en consolidant les cadres existants et futurs en une réglementation « omnibus ». Cette initiative vise à simplifier les exigences pour les entreprises, tout en garantissant une transparence accrue en matière de durabilité. Les retours d’expérience des entreprises seront essentiels pour adapter continuellement les normes et assurer leur pertinence et leur efficacité.
Intégration dans la stratégie globale des entreprises
Malgré les assouplissements réglementaires, les entreprises sont encouragées à considérer le reporting ESG non pas comme une contrainte, mais comme une opportunité stratégique. En intégrant les critères ESG dans leur modèle d’affaires, les entreprises peuvent améliorer leur résilience, attirer des investissements responsables et renforcer leur compétitivité sur le long terme. Cette approche proactive permet également de répondre aux attentes croissantes des consommateurs et des parties prenantes en matière de responsabilité sociale et environnementale.
Lien avec d’autres initiatives européennes
La CSRD s’inscrit dans un ensemble plus large d’initiatives européennes visant à promouvoir une économie durable et compétitive. Le Pacte industriel pour une industrie propre et le Green Deal sont des piliers essentiels de cette stratégie. Le Pacte industriel vise à renforcer la compétitivité de l’industrie européenne en soutenant les technologies propres et en simplifiant les règles en matière d’aides d’État. Parallèlement, le Green Deal établit une feuille de route pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. La synergie entre la CSRD et ces initiatives crée un cadre cohérent encourageant les entreprises à adopter des pratiques durables tout en bénéficiant de soutiens adaptés pour faciliter cette transition.
En conclusion, l’évolution du reporting ESG en Europe reflète une volonté de concilier compétitivité économique et ambition écologique. Les entreprises ont l’opportunité de transformer ces obligations en leviers stratégiques, s’alignant ainsi avec les objectifs européens de durabilité et renforçant leur position sur le marché mondial.
Vers une performance durable, au-delà du simple reporting
L’évolution de la CSRD illustre parfaitement le double enjeu auquel l’Europe est confrontée : simplifier les obligations des entreprises tout en maintenant l’ambition écologique. Avec la réduction du périmètre d’application, l’allégement des exigences de reporting et la révision des délais, l’Union européenne a cherché à réconcilier durabilité et compétitivité. Toutefois, ces ajustements ne signifient pas un abandon des objectifs environnementaux et sociaux, mais plutôt une nouvelle approche plus pragmatique et orientée vers la performance.
La loi Omnibus a confirmé un changement majeur dans la vision de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Désormais, l’enjeu n’est plus uniquement de « faire le bien », mais d’identifier et atténuer les risques tout en saisissant les opportunités. C’est un tournant décisif, où l’extra-financier devient un indicateur aussi stratégique que le financier. Dans cette optique, la performance durable ne se limite plus au respect de normes, mais devient un levier de résilience et d’innovation pour les entreprises.
L’entreprise durable de demain n’est pas seulement celle qui se conforme aux réglementations, mais celle qui sait transformer ces exigences en avantage concurrentiel et en moteur de création de valeur. En adoptant une approche proactive du reporting ESG, les entreprises peuvent renforcer leur attractivité auprès des investisseurs, répondre aux attentes croissantes des consommateurs et anticiper les futures évolutions réglementaires.
À nous d’en façonner les contours
Les transformations réglementaires actuelles ne sont qu’une étape vers une intégration plus poussée des enjeux ESG dans la gouvernance et la stratégie des entreprises. Les prochaines évolutions réglementaires, qu’elles concernent le reporting extra-financier, la finance durable ou les mécanismes d’audit, façonneront les règles du jeu des années à venir.
Dans ce contexte, il est essentiel pour les entreprises de suivre ces évolutions de près, de participer aux discussions et de s’adapter en continu. Webinaires, consultations publiques et groupes de travail sectoriels offrent des opportunités précieuses pour anticiper les changements et co-construire des solutions adaptées aux réalités économiques et environnementales.